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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/151

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« — Eh quoi ! lui dis-je, ce n’est pas d’être mise à votre avantage qui vous fait le plus de plaisir ?

« — Non, me répondit-elle, avec un sourire étrange et un léger haussement d’épaules, c’est de faire mourir les autres de jalousie. » |

« Elle se maria fort jeune, à dix-neuf ans. Elle avait déjà refusé, par hauteur, ou par caprice, des alliances honorables, quand un jeune homme, qui avait tout d’abord piqué son amour-propre par le peu d’attention qu’il avait fait à elle, lui fut présenté, Il plaisait peu aux parents. Sa moralité était douteuse. Mais Isoline voulut ce mariage avec obstination, fit des scènes terribles. Comme toujours, M. et Mme Grandin cédèrent.

« J’eus le mauvais goût aux yeux d’Isoline de me prononcer contre ce mariage et de l’instruire de quelques détails fâcheux sur la conduite de son fiancé. Elle se fâcha contre moi et nous fûmes brouillées pendant quelque temps.

« Ce fut seulement par des amis communs que j’appris les différentes circonstances de la vie d’Isoline après son mariage. Elle ne sut pas même être mère, ne voulant point cesser d’aller dans le monde ; elle mit son premier-né en nourrice hors de la maison. Il arriva ce qui arrive trop souvent en ce Cas, l’enfant, mal soigné sans doute par une nourrice qui ne se sentait pas surveillée, mourut. Pour le second, Isoline prit une nourrice chez elle, mais ne s’en occupa guère plus que de l’autre, sauf pour la toilette, qui fut ravissante. Mais le pauvre baby, au milieu de ses fraiches dentelles, languit faute de soins intelligents, tomba malade et à son tour mourut aussi. La nourrice, ignorante, négligente et omnipotente cependant, confinée dans un étage particulier de la maison, souvent abandonnée à ses seules inspirations, n’avait pas même fait avertir la mère, absente pour un voyage de pur agrément, que son enfant fût en danger.

« Pour cette fois Isoline jeta les hauts cris. Il était bien triste que les enfants fussent si difficiles à élever.

« — Madame, lui dit sévèrement le médecin, les enfants nés robustes ne sont pas difficiles à élever ; mais ceux qui proviennent d’un tempérament nerveux, toujours irritable, souvent irrité, déjà fatigué comme le vôtre, ne s’élèvent pas sans mère. »

« Isoline alors se décida à nourrir elle même son troisième enfant, et à veiller attentivement sur lui ; elle cessa donc momentanément d’aller dans le monde : mais du moins tout son entourage retentit des préoccupations touchantes de sa tendresse maternelle. D’ailleurs, celle avait assez de sujets de mélancolie pour suspendre un peu les fètes. Elle s’était, grâce à son mari, séparée de ses parents, et ce mari, qui ne l’aimait point, avait cessé d’avoir pour elle-même des égards.

« Toujours absent de la maison, il dissipait la dot de sa femme et Isoline souffrait autrement de cette conduite, de cet abandon. Il est douteux qu’elle l’aimât, puisqu’on ne la vit jamais aimer qu’elle-même ; mais elle eût voulu en être aimée.

« Je voyais beaucoup à cette époque Mme Grandin, malade et désespérée de l’ingratitude de sa fille, et je recevais ses tristes confidences. Elle voyait enfin, dans sa douleur, la vérité.

« — Ah ! disait-elle, Isoline n’a pas de cœur. Notre aveugle affection lui a trop appris à n’aimer qu’elle-même. »

« Elle aussi, Mme Grandin, en cela, avait été égoïste, car, au lieu de s’occuper sérieusement de l’intérêt moral de son enfant, elle n’avait songé qu’à se donner au jour le jour les joies faciles de la tendresse idolâtre.

« Les chagrins qu’éprouvait Isoline de