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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/152

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la conduite de son mari la portèrent à se réconcilier avec ses parents et je la revis chez sa mère. Il ne fallait que considérer ce regard inquiet, ce front hautain, cette lèvre amère pour comprendre que cette femme était malheureuse. En tête-à-tête avec elle, je l’entendis se plaindre de tout le monde, hautement de son mari, plus bas de ses parents, qu’elle disait aigris contre elle et quinteux ; son enfant la fatiguait par sa turbulence et ses caprices ; elle ne mentionnait ses amis et connaissances que pour signaler leurs défauts et leurs ridicules ; et quant à ses serviteurs, on l’entendait sans cesse récriminer contre eux : ces gens-là n’étaient que vices, égoïsme, négligence ; elle les traitait tous avec un mépris écrasant, une dureté implacable, et s’étonnait de n’en pas être aimée et respectée. Le monde était encore le champ de ses espoirs, son vague idéal ; elle recherchait toujours ses réunions ; mais comme elle n’y recueillait plus les mêmes hommages, elle lui en voulait amèrement de ne plus faire d’elle sa reine, son arbitre, son idole. On la voyait souvent sombre, désagréable, emportée le lendemain d’une soirée où elle s’était vue éclipsée par d’autres ; elle n’était triomphante, vive et gaie, que lorsque beaucoup d’hommages l’avaient entourée. Ainsi, mère, épouse et fille, elle s’était réduite à ne pouvoir éprouver d’autres satisfactions que celles de la vanité, si fertile en mécomptes.

« À la fin le mari d’Isoline, qu’une femme bonne et sensée eût peut-être ramené à de meilleurs sentiments, disparut, abandonnant à la fois sa femme et son fils. Elle restait, hélas ! plus que veuve, et l’une des plus grandes sources de bonheur, l’affection fidèle de celui dans lequel elle aurait dû chercher en se mariant le compagnon et l’ami de toute sa vie, lui manquait pour toujours. Elle n’en fut pas plus tendre pour son fils. Incapable de s’astreindre aux obligations qu’impose cation et l’instruction d’un enfant, elle le mit au collége, non pour y suivre ses progrès, pour l’encourager au moins par sa tendresse attentive à devenir un homme utile et à lui-mème et aux autres, mais pour s’en débarrasser.

« Il ne lui restait plus que ses vieux parents, désenchantés de la vie, et beaucoup moins idolâtres de leur fille qu’autrefois, parce qu’ils avaient éprouvé la sécheresse de son cœur, et qu’ils subissaient eux-mêmes amèrement la déception de voir sa vie manquée. Aussi peu généreux alors qu’ils avaient été peu intelligents autrefois, ils lui reprochaient de s’être obstinée à faire, malgré leurs répulsions, ce malheureux mariage. Elle répondait avec aigreur. Leur intérieur devint pénible. Isoline continua de chercher des distractions dans le monde qui ne l’accueillait plus que froidement et ne réussit pas même à en trouver.

« Réduite maintenant à une fortune médiocre, Isoline passe la moitié de l’année à la campagne ; si elle eût su occuper sa vie, S’y créer des occupations, s’y rendre utile à elle-même et aux autres, elle eût pu y trouver une sorte de bonheur ; mais non, elle n’y fait rien et s’y ennuie profondément.

Le principal sujet de ses discours est, comme à la ville, de maudire la vie en général et ceux qui l’entourent en particulier. Elle voit rarement son fils : elle ne l’a pas élevé, et il leur manque ce lien que crée la douce habitude de l’échange des sentiments et des soins assidus.

« J’ai dû lui faire, il v a peu de temps, une visite de politesse, et j’en ai rapporté l’impression la plus navrante. Dans cette maison, tout est froid, sec, et semble vide comme le cœur de celle qui la gouverne. Les domestiques, traités avec mépris, sont négligents, effrontés et souvent im-