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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/153

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pertinents. Isoline en change fréquemment ; mais elle commence à n’en plus trouver qu’avec peine et se voit obligée, sous peine de rester absolument seule, de supporter beaucoup de leurs défauts, et même de leurs insolences. Un jour, en passant près d’une porte entr’ouverte, elle entendit c’est d’elle-même que je tiens ce fait i sa femme de chambre parler d’elle en ter- mes outrageants. Elle passa, et feignit de n’avoir rien entendu.

— Que voulez-vous ? me dit-elle ; je suis lasse de changer pour trouver pire. Elle me déteste, mais elle me sert. » « Ainsi vit cette femme, seule et sans famille, n’ayant autour d’elle que des gens animés de sentiments hostiles. Cette situation m’épouvanta.

« Il y avait cependant dans la maison. d’Isoline une femme qui l’avait bercée dans son enfance et qui avait gardé pour elle un de ces attachements que rien ne peut rebuter. La vieille Marton soignait sa maîtresse avec dévouement et lui conservait quelque chose des tendresses maternelles. Eh bien, cette sotte se plaignait de la familiarité de cette brave femme qui osait quelquefois lui montrer, devant le monde, qu’elle se croyait le droit de l’aimer.

« Marton, déjà âgée, mais encore alerte, tomba malade. On abusait souvent de ses forces et de sa bonne volonté.

« Le médecin appelé, dit que la maladie en elle-même était peu de chose, mais que Marton devait pendant quelques mois cesser son service et aller reprendre des forces dans son pays natal.

« — Mais, docteur ! s’écria Isoline, c’est ma femme de confiance, et je ne puis pas me passer d’elle.

« C’est bien pour cela, madame, qu’il faut la guérir. »

« Isoline envisagea ce parti ; mais elle y vit tant de difficultés, qu’elle ne put se résoudre à trouver bon l’avis du docteur. La pauvre Marton elle-même disait :

« — Eh ! bon Dieu, madame, laissez donc, c’est des idées ; je guérirai bien sans cela. »

« On prit un autre docteur. — Isoline s’admirait de s’inquiéter ainsi de sa vieille servante !

« Celui-ci prévenu qu’il ne fallait point ordonner le changement d’air ni même le repos absolu, prescrivit quelques remèdes insignifiants. La bonne femme languit quelque temps, puis s’éteignit. Isoline la regrette non pas toujours, mais toutes les fois qu’elle est indisposée, ou que sa maison va mal. Avec la vieille Marton, toute affection vraie, tout soin désintéressé, ont déserté la vie d’Isoline. Le sent-elle ? Je n’en sais rien.

« Elle a aimé les griffons. Elle en a toute une famille, et ces êtres fantasques sont les seuls dont elle respecte les exigences, et dont elle soigne le bonheur. Son salon est une ménagerie.

Quand on connait les hommes, me dit-elle d’un ton péremptoire, on aime les bêtes. »

« Moi qui sais qu’Isoline a toujours demandé beaucoup à ses semblables, sans jamais leur rien donner, je ne pus accepter cet aphorisme.

« Il est vrai, lui dis-je, que les bêtes n’ont pas d’exigences, n’ayant pas de raison ni de sentiment. »

« En revenant chez moi, tout en songeant à l’abandon et à la tristesse de cette femme, je rencontrai sur la route une pauvre villageoise, courbée sous le double faix d’un paquet d’herbages et d’un nourrisson joufflu, auquel elle souriait avec tendresse. Elle était, celle-là, bien dépourvue de tout ce qui avait salué l’entrée dans la vie de la riche héritière. En outre, livrée, hélas ! à la misère, à l’ignorance, à un travail excessif dans un milieu grossier, per-