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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/182

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travaillent à élargir le monde scientifique. Albert faisait précisément le contraire. Tandis que sa rage de briller et de parvenir le poussait à produire hâtivement et à présenter l’hypothèse, à défaut de la vérité, son excessive confiance en lui-même et son dédain facile pour autrui, joints à tant de soins qu’exigeaient ses intrigues et ses relations, lui faisaient négliger l’étude et l’empêchaient en outre de faire son profit du travail journalier de ses contemporains, des objections de ses adversaires et des conseils que plusieurs de ses devanciers lui eussent donnés volontiers. Il fut enfin bien plus occupé de se faire une réputation que de se faire une valeur. C’est pourquoi, après avoir donnés les plus hautes espérances, avec une intelligence hors ligne, une admirable mémoire, une hardiesse de conception, une promptitude d’exécution, une finesse de coup d’œil qui auraient pu, joints à un véritable amour de la science, lui faire parcourir à pas de géant des espaces encore inexplorés, il n’a rien donné de grand ni de sérieux, et il a eu le chagrin mortel, — oui, mortel, car ce chagrin l’a tué, — de voir sa réputation tomber de son vivant même.

« Toujours préoccupé de plaire aux gens du monde, qui font vite les réputations et les font brillantes, — quoique peu solides a la vérité, — Albert avait publié sur la sensibilité des plantes un de ces livres où, sous prétexte de vulgariser la science par une forme littéraire et poétique, on remplit souvent d’idées fausses et bizarres le cerveau sans défense du lecteur ignorant. Ce livre cut un grand succès. 11 servait si bien le goût du jour ! Il était si plein d’images touchantes, de phrases ciselées, de sentiments tout faits, vêtus à la dernière mode, de paradoxes charmants et de tableaux ingénieux, que des salons parisiens les plus exquis, il porta le nom et la gloire de son auteur jusqu’aux extrémités de l’Europe. Au point de vue scientifique, cependant, la thèse était contestable et fut contestée. La plupart des savants sourirent et affectèrent de ne voir en Albert qu’un littérateur.

« Il en fut vivement blessé, et, pour se justifier de ces attaques, il s’efforça d’attacher son nom à la découverte d’une loi nouvelle. Déjà il avait présenté à l’Institut sur le règne végétal quelques mémoires bien faits, mais qui ne concernaient que des questions dé détail, toutes secondaires. Cette fois, il s’en prit aux lois générales de l’être, et d’une série d’observations hâtives et d’expériences ingénieuses il déduisit une théorie. Suivant lui, les mouvements des plantes et leur recherche persistante, et qui semble inventive et raisonnée, des conditions favorables à leur développement, prouvaient une existence consciente, une intelligence rudimentaire. Ce mémoire était fait avec beaucoup d’art et de passion, il était plein d’aperçus admirables, de trouées lumineuses ,’et ne manquait pas de science ; mais il manquait de cette rigueur d’observation, de cette exactitude qui est la bonne foi des savants. 11 souleva tout d’abord peu d’objections, reçut les éloges du corps savant, fut publié, répandu, prôné, et grandit le nom d’Albert.

« Mais il ne jouit pas longtemps de ce succès. Bientôt les critiques sérieuses surgirent, et parmi elles un mémoire fait par un savant distingué, qui, se fondant sur des faits plus généraux et des observations plus exactes, combattait victorieusement la théorie d’Albert. Un trait surtout fut cruel ; car il conférait à Albert un brevet d’ignorance et de légèreté. Son adversaire, après avoir rappelé les démonstrations convaincantes de La Marche et de tels autres sur le même sujet, demandait si c’était volontairement qu’il les avait négligées ou s’il pouvait les ignorer. Les con-