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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/183

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currents d’Albert et ses ennemis, — sa vanité lui en avait fait beaucoup, — s’emparèrent de ce trait, l’aiguisèrent encore et lui firent faire le tour des journaux et des salons,

« Albert sentit que son ambition venait d’être frappée à la tête. Pour se relever de cette chute, il lui eût fallu des efforts cent fois plus grands, des années de recherches persévérantes. Et encore… ses travaux pouvaient rester obscurs, ou du moins longtemps infructueux. La vraie science est un dévouement, une patience. Il ne se sentit pas le courage de cette tâche. I] voulait briller tout de suite et à tout prix ; il ne pouvait supporter la honte de cette défaite.

Ceux qui aiment ont pour se consoler de leurs échecs des affections qui les caressent et qui les consolent. Albert n’avait rien. La bonté de sa femme était toujours prête ; mais ce n’était plus que de la bonté, tant il avait froissé et découragé son cœur. Et lui-même, quelle douceur, quelle consolation pouvait-il recevoir d’elle ? Il ne l’aimait pas assez pour qu’elle pût lui faire du bien. Elle essaya cependant ; mais il la rebuta dès les premiers mots. À elle-mème, comme à tous, il voulait cacher sa blessure, tandis qu’intérieurement elle le rongeait.

« Nous habitions alors à Paris un petit appartement au cinquième, dans la maison dont Albert occupait le premier étage. Un soir, je rentrais fort tard du spectacle ; je rencontrai dans l’escalier Me M… en peignoir et fort pâle. Elle montait au sixième appeler le valet de chambre pour qu’il allât chercher un médecin ; son mari se trouvait gravement indisposé. Je m’empressai de lui épargner cette peine ; mais j’eus beau frapper à la porte de Franck ; il était absent, et je pris le parti de faire la course moi-même. En ramenant le médecin, j’entrai pour demander des nouvelles et offrir mes services. Mme M. était effrayée de l’état de son mari :

— Il n’y résistera pas, me dit-elle. Chaque jour, je le vois plus profondément atteint. Ce soir, à quelques paroles qui lui sont échappées, car il a la fièvre et est fort surexcité, j’ai compris qu’il venait de subir chez Mme O…, où il a diné, des railleries telles que savent les envenimer les gens du monde. On le tue !

— « Quoi ! m’écriai-je, son échec le bouleverse à tel point ?

— « Que voulez-vous ! me répondit-elle avec un regard douloureux (car elle savait bien que sa tristesse n’était point un secret pour nous), quand on n’a dans l’âme qu’une passion, et qu’elle est trompée !

« Le lendemain, j’entrai dans la chambre du malade. Son seul aspect me causa une vive inquiétude. Je ne l’avais pas vu depuis son échce, et il me sembla subitement vieilli de quelques années. On voyait passer des lueurs de colère dans ses yeux bagards, qui par moments semblaient défier d’invisibles ennemis. De temps en temps il portait la main à sa gorge et à sa poitrine, et parfois 1l lui échappait de longs soupirs ou des mots entrecoupés. Soudainement, il me dit :

— « Vraiment, je suis bien malade, il me semble ? Il me faudrait mettre de l’ordre dans mes papiers ; mais je n’en ai pas la force. On devrait toujours se tenir prêt. Mais qui s’attendait à cela ?

— « Vous n’êtes pas si malade, lui répondis-je ; mais si la chose vous tourmente, il faut vous rendre l’esprit tranquille. N’avez-vous pas un ami suffisamment éclairé que vous puissiez charger de ce Soin ?

« I] secoua la tête :

— « Non, je n’ai personne. Livrer mes papiers à… Non certes, jamais !

Puis, essayant de reprendre le ton sceptique et léger qui lui était habituel :