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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/19

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moi-même j’allasse prendre place au milieu d’eux, ils ne m’’auraient pas repoussé. Mais comment prendre cela sur moi ? non ! pour rien au monde ! J’aurais plutôt été capable de déraciner l’arbre contre lequel j’appuyais ma triste figure, que de détacher mes pieds du sol pour accomplir un pareil acte de simplicité et de franchise. Et cependant j’avais un grand ennui de ne pas jouer. Plus les heures s’écoulaient, plus je me sentais le cœur gros en voyant ma journée de plaisir se perdre tout entière.

« Enfin, il vint un moment où la bande joyeuse, dont je ne faisais pas partie et qui ne songeait plus du tout à moi, s’envola ; je restai seul ; et, loin de ces gais compagnons, dont j’entendais encore par moments retentir les voix folâtres, je fondis en larmes bien amères.

« — De qui donc étiez-vous si mécontent, Jules ? demanda Me Ledan.

« — Oh ! madame, des autres. Je les trouvais bien durs, et très-méchants de ne m’avoir pas forcé de m’amuser.

« La cloche du diner sonna. Je continuais de pleurer et je restais là, bien déterminé à mourir de faim plutôt que de me rendre. à la maison, de moi-mème. Ma pauvre mère, qui connaissait bien mes infirmités, et les soignait trop peut-être, me chercha et finit par me découvrir. Elle me gronda, m’essuya les veux, et m’emmena diner.

« 1] y avait une table particulière pour les enfants : il me fallut bien m’y mettre, au lieu de rester sous l’aile de ma mère ; là, tandis que les autres causaient et riaient du souvenir de leurs jeux, moi, n’ayant rien à dire, je me taisais.

« Une bonne enfant placée près de moi, et qui me considérait d’un air étonné, comme elle eût fait d’un individu d’une espèce sauvage, à elle inconnue, parvint à m’arracher quelques mots, et puis à

m’apprivoiser si bien qu’au dessert nous étions en pleine conversation. Je lui en étais très-reconnaissant ; je l’aimais de tout mon cœur et je me serais attaché à ses pas et ne l’aurais plus quittée, de manière sans doute à l’ennuyer énormément, si, par bonheur pour elle, ce n’eût été une sorte de libellule, qui n’avait replié ses ailes que pour manger. Voltigeant toujours, et ne se posant jamais, elle m’échappa aisément, à moi dont tous les mouvements étaient ralentis et comme paralysés par mes habitudes d’hésitation et de crainte. Le hasard nous rapprocha bien quelquefois ; elle me dit bien encore au passage quelques mots ; mais je n’avais pas même le temps de lui répondre.

« Après le diner, on s’amusa quelque temps encore, au crépuscule, dehors ; puis on rentra dans le salon, et l’on se mit à jouer des charades. C’est si amusant pour ceux qui n’ont pas de timidité ! Il me semblait que j’aurais bien joué, moi aussi, si j’avais osé... Mais je n’osais pas.

« Quand on se partagea en deux troupes, en répartissant dans chacune des acteurs de force à peu près équivalente, quelle fortification ! personne ne voulait de moi. On me prit enfin comme l’équivalent d’un petit garçon de quatre ans, cent fois plus éveillé que moi, et cet arrangement ne fat pas accepté sans murmures par la bande à laquelle j’échus.

« Naturellement, on ne me confia que des rôles de figurant. Je faisais la foule. La maitresse de la maison, qui entendait que son hospitalité fût agréable à chacun, remarqua cela, et parla en me regardant, à sa fille ainée, qui était le chef de notre troupe. Je n’entendis pas la réponse de Mile Cécile : mais son geste fut si clair qu’on ne pouvait s’y tromper, ce geste disait : « — C’est une sorte de petit sauvage imbécile dont il n’y a rien à faire.