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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/20

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« — Je comprends mieux que vous ne pensez, mademoiselle, » murmurai-je entre mes dents. Car j’étais furieux, comme si ce n’eût pas été ma faute.

« Cependant la mère de Mike Cécile ne voulut pas la prendre au mot, et allant s’asseoir auprès de maman, elle l’interrogea sur mon compte, Je m’étais approché doucement pour entendre la réponse :

« — Mais certainement, madame, il jouerait fort bien s’il voulait. Ce n’est pas l’intelligence qui lui manque. Mais il est d’une timidité.

« — Il faut l’encourager, dit Mme O. »

« Et elle alla de nouveau parler à sa fille ainée.

« Cela me rendit content ; car j’étais outré à la fin de la sotte figure que je faisais. Mais aussi, d’un autre côté, l’idée que j’allais recevoir un rôle, et avoir à parler devant tout le monde, me faisait frémir de la tête aux pieds.

« Notre jeune chef de bande y mit beaucoup de prudence. Elle voulait bien satisfaire sa mère ; mais elle se défait évidemment de moi. Je fus décoré du beau nom de Lancelot, et l’on me fit page du roi, mais sans autre rôle à tenir que de dire simplement : Oui, sire.

« Ouf ! quel soulagement ! ce n’était que ça !… — Eh bien ! après ce premier mouvement de joie, je trouvai le moyen d’être mécontent. Maintenant que j’étais rassuré sur ce que j’avais à faire, j’aurais voulu avoir un plus grand rôle, un beau rôle enfin.

« Je dis : « Oui, sire, » un peu trop vite ; mais enfin sans catastrophe. Et bientôt après, dans le tableau suivant, je reçus une fonction plus élevée ; je devins confident de l’empereur. Cette fois, c’était la cour de Néron ; j’étais Narcisse. Je devais donner à l’empereur de perfides conseils, l’exciter contre Burrhus et contre Agrippine. J’avais une tunique blanche et un manteau bleu, près de Néron vêtu de

pourpre ; j’étais fort beau, et le cœur me battait à m’étouffer. On m’avait interrogé et l’on avait reconnu que je savais mon histoire romaine ; pour moi, j’avais arrangé

dans ma tète ce que j’avais à dire, et.

c’était très-bien. J’avais lu Britannicus. Si j’avais joué sans public, je suis sûr que j’aurais été ’parfait. Mais le public ! tous ces yeux qui regardaient ! toutes ces oreilles qui écoutaient !…

« Je ne vis plus rien que cela et me sentis paralysé de terreur. Mon cerveau se troubla ; tout s’brouilla, les noms, les personnages, la scène. Je ne sus plus mot de rien : ma mémoire se trouva vide, mon courage évanoui !…

« Et quand Néron m’eut passé la parole et attendit ma réponse, quand je m’entendis souffler par mes camarades : « Allons, Narcisse, parlez donc ! » tout éperdu, chancelant, ahuri, stupide, je fis un effort et ne pus que balbutier d’une voix rauque : « Oui, sire !…

« Toute la salle partit d’un éclat de rire. On rit, on rit à ne s’en pouvoir tenir, et moi je m’enfuis, désespéré, fou de honte, jusqu’au fond d’un corridor, où j’éclatai en sanglots.

« Ce fut là que ma mère vint me retrouver. Elle m’avait excusé tant qu’elle avait pu, ma pauvre mère ; elle avait répété à tout le monde que j’étais timide à l’excès, et que je n’en étais pas MOINS un garçon intelligent, qui savait très-bien son histoire. Mais elle avait bien vu qu’on faisait semblant de la croire par politesse, et, presque en pleurant elle-même, elle me dit : « — Vois-tu, Jules, si tu ne te guéris pas de cette maladie, tu passeras toujours pour un sot.

« Bientôt après, nous partîmes. Je me cachai pour n’avoir à supporter les regards de personne ; je sentais sur moi la pitié et la raillerie de tout le monde ; j’étais extrémement malheureux.