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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/21

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« Nous revenions dans un char-à-bancs, par un beau clair de lune. Je m’étais glissé au fond de la voiture, et, la tête appuyée sur le banc, enveloppé de mon manteau, je semblais dormir. Mon oncle, mon père, ma mère et mes cousins, causant ensemble des événements de la journée, en vinrent promptement à parler de mon aventure, qui, plus ou moins, les avait tous mortifiés.

« — C’est un grand malheur pour ce pauvre enfant, dit ma mère, que d’être si timide !

« — Assurément, répliqua mon oncle, c’est un malheur ; mais il faut l’en blâmer autant que l’en plaindre ; et il s’en corrigerait s’il pouvait avoir un peu moins d’amour-propre.

« — Moins d’amour-propre ! s’écria ma mère ; vous plaisantez. Dites plutôt qu’il n’en à pas assez, Voyez ce jeune Louis, le fils de vos amis ; en voilà un qui ne doute pas de lui-même ! Il est vrai qu’il joue très-bien ; mais il a pourtant trop d’aplomb pour son àge, à mon avis, Il n’y a que les gens hardis et vaniteux pour réussir dans le monde.

« — Ça se peut, dit mon oncle ; mais vous savez que les extrêmes se rencontrent. Si c’est avoir trop d’amour-propre que de s’estimer supérieur à la critique, c’est en avoir peut-être davantage dans un autre sens que de trembler et s’évanouir devant clle. Avouez que si votre fils ne tenait pas énormément à être approuvé, il n’aurait pas tant peur qu’on se moquät de lui. Non, la vraie modestie est moins timide que cela, et, quoi que vous en disiez, je la verrais bien plutôt dans la tranquille simplicité de ces enfants qui font pour s’amuser et amuser les autres ce dont ils se sentent capables, et qui sont les premiers à rire de leurs bévues quand ils en font. Sans doute il faut avoir un peu d’amourpropre, c’est-à-dire de respect de soimême vis-à-vis des autres, comme vis-à-vis

de soi ; mais être sensible à l’opinion d’autrui jusqu’à ne plus voir et ne plus sentir autre chose, jusqu’à ne plus être ce que l’on est, cela ne prouve ni un caractère solide, ni une âme sérieuse. J1 faudrait faire comprendre à ce garçon-là qu’en dehors de l’opinion, chose d’ailleurs très-variable et très-fantasque, il y a des devoirs, des réalités, des idées, des faits, sur lesquels on doit baser sa vie et former sa conscience. Sans cela, on n’est jamais un homme, mais une girouette, que chacun fait tourner à son gré ; on est l’esclave et la victime d’une susceptibilité, non pas modeste, comme vous le croyez, mais, je le soutiens, vaniteusement Maladive.

« Ma mère protesta et trouva mon oncle d’une sévérité injuste ; mais mon père fut tout à fait de l’avis de son frère et l’appuya de nouvelles considérations. Quant à moi, je feignais de dormir pendant ce colloque, dont je faisais les frais ; je n’avais pas de meilleure contenance à tenir. — Je me sentais atteint au cœur par les observations de mon oncle. Elles me semblaient fort cruclles, presque méchantes, et pourtant je n’osais pas aflirmer qu’elles n’étaient pas vraies.

« Depuis, elles me revinrent souvent à l’esprit, et je finis, en les comparant à ce qui se passait en moi, par en reconnaitre la justesse. Enfin, depuis cette aventure, j’ai beaucoup désiré vaincre ma timidité ; j’y ai fait mon possible, et, si je n’ai pas encore réussi, j’ai bien gagné quelque chose. La preuve, c’est que je viens de vous raconter cette histoire, et que. j’en suis tout en nage : mais enfin) : ai tout dit, sans ménagement pour moi.

Et le pauvre Jules souriait, en essuyant sur son front ses cheveux collés de sueur. Me Ledan lui tendit la main et l’embrassa quand il fut arrivé près d’elle.

« Mon cher Jules, dit-elle, vous êtes un brave. Il y a, en effet, trop d’amour-propre