sacrer à ce travail tout le temps possible, et déjà, ce jour-là, elle s’était levée une heure plus tôt.
« Mon cher, tout de suite, la fièvre d’Hélène me gagne et je veux en faire autant. « Me voilà faisant mes plans, cherchant mes dessins, et me promenant déjà dans ma chambre… en idée… Je ne pensais plus du tout à la physique, lorsque maman me dit : « Adrienne, j’ai trouvé notre professeur. C’est une institutrice qui revient d’Angleterre, n’en pouvant supporter le climat, et que l’on me dit être aussi aimable qu’instruite, surtout dans les sciences naturelles. Mais elle ne revient que dans trois mois. D’ici là, M. Legrand te donnera des leçons d’algèbre, car il est bon d’en savoir un peu pour l’étude de la physique et de la chimie.
« De l’algèbre ! m’écriai-je, de l’algèbre ! »
« Même je levai les mains au ciel. Maman se mit à rire.
« — Décidément, j’ai une fille que les mots effraient.
- Mais, maman, qui est-ce qui apprend l’algèbre ?
« Ceux qui désirent la savoir.
« — Mais c’est horriblement difficile !
« — Qu’en sais-tu ? Attends du moins d’en avoir fait l’expérience. Toujours ce qu’on ne sait pas semble difficile, tandis qu’on trouve tout simple ce que l’on sait. Enfin, je t’offre les moyens d’étendre ton esprit, de participer le plus possible au trésor des connaissances humaines, dont chacune a son utilité et sert à mieux comprendre les autres. Je veux te faire voyager, grandir ; mais si tu préfères habiter un petit coin sombre et n’en pas bouger ? »
« Bien entendu je n’osai pas dire oui, ni même le penser ; pourtant je n’étais pas satisfaite, et il me semblait que maman me demandait là quelque chose d’extraordinaire, sans compter l’ennui.
« Ce fut bien pis quand j’en eus parlé à Hélène. Elle et sa mère elle-même jetèrent les hauts cris : « Une demoiselle apprendre l’algèbre ! « Elles n’osèrent pas le dire, mais ne purent s’empêcher de me laisser voir qu’elles trouvaient maman… ridicule.
« Mais, ma chère, c’est une tyrannie ! répétait Hélène. Au lieu de faire de la tapisserie tranquillement !
« Encouragée par l’indignation d’Hélène, j’objectai à maman mes grands projets d’ameublement. Maman haussa doucement les épaules.
« — Tu crois qu’il vaut mieux meubler sa maison que son esprit ? me dit-elle. Mais il faut bien meubler sa maison.
« - Sans doute, seulement pour l’utilité et la commodité, des meubles de bois valent autant que des meubles de tapisseries ; et passer les années de la vie qu’on doit employer à l’étude à ne faire agir que ses doigts, au lieu de s’appliquer à s’instruire, c’est-à-dire à devenir meilleur et plus capable, tout cela pour pouvoir dire qu’on a de beaux meubles, cela me paraît une grande sottise. Enfin, je le répète : que préfères-tu ? la valeur de ton mobilier, ou celle de ta personne ?
« Je n’osai plus rien dire, mais me résignai avec humeur. M. Legrand ne pouvait pas venir d’une huitaine de jours. Ce fut à ce moment que je partis pour l’Orléanais, où je portais si ridiculement mes idées de toilette parisienne et de décorum mondain, au grand dommage de mes plaisirs. Cette aventure, déjà, m’avait rendue un peu moins sotte. Je n’en commençai pas moins les leçons d’algèbre avec beaucoup de répugnance et de prévention. Et c’est là sans doute ce qui me boucha l’esprit ; car je n’y compris rien tout d’abord, malgré les explications si lucides et si patientes de M. Legrand,