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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/223

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— si bien que je me mis à pleurer, en disant que je ne pourrais jamais apprendre.

« — Je crois que tu te trompes toi-même, dit ma mère. Tu n’es pas inintelligente ; tu peux donc apprendre l’algèbre comme un autre, et je te répète que cette connaissance te donnerait beaucoup de facilités pour l’étude des sciences naturelles. Cependant je ne veux pas forcer ta volonté ; je l’essayerais d’ailleurs inutilement ; car il n’y a point d’étude fructueuse sans bon vouloir. Je te demanderai seulement, si tu veux me faire un grand plaisir, de t’appliquer de toute ton attention et de toute ta bonne volonté pendant quinze jours ; — après quoi, si tu le désires encore, nous cesserons les leçons. »

« Je ne pouvais refuser cela à ma chère maman, si bonne. Je lui fis donc cette promesse, et, l’ayant faite, je voulus la remplir en toute conscience. Oh ! je m’y cassai la tête, va, les premiers jours, je tournai et retournai les explications de M. Legrand, je lui adressai moi-même des questions. Je fis et refis les petits problèmes qu’il me donnait, et tout cela d’abord avec beaucoup de peine et d’ennui, sans voir où cela me conduisait, et comme on va dans l’ombre à tâtons. Puis, tout à coup, j’aperçus, comme au fond d’un tunnel, une petite lueur. Cela me fit grand plaisir, et je marchai avec plus de courage ; alors, de jour en jour, la lueur grandit, et mon ardeur avec elle. Bientôt, après chaque leçon, j’eus le plaisir de me sentir arrivée plus loin, de voir de plus en plus clair, d’avoir acquis quelque chose. Aujourd’hui, enfin, si peu que je sache encore, je comprends l’idée générale et me vois entrée en possession d’un moyen précieux, d’une connaissance de plus. J’ai commencé tout récemment l’étude de la physique, et j’y fais déjà de grands progrès ; car maintenant la science m’attire de plus en plus, et j’éprouve cette ardeur, tu sais, qui nous anime en grimpant une montagne, quand, à mesure qu’on s’élève toujours plus haut, on découvre de nouveaux horizons, l’œil avidement fixé sur le sommet que l’on veut atteindre.

« Tu te rappelles, Édouard, quand nous avons gravi le mont Dore, avec Léopoldine ? Elle n’aimait pas la montagne, elle ; elle n’aimait que la promenade, les bains, la ville ; aussi, ne concevant pas du tout notre plaisir, elle n’y trouvait que de la fatigue. Quelle démarche trainante et lourde ! quelle maussaderie ! pendant que nous grimpions, nous, légers comme des oiseaux, gais comme des pinsons, de si bon cœur, enfin ! la fatigue ne comptait guère, elle s’effaça complétement sur la cime, et, après cette belle excursion, nous nous sentîmes plus forts qu’auparavant, tandis que Léopoldine fut courbaturée, pendant plusieurs jours.

« Eh bien, Édouard, pour l’étude, c’est tout à fait la même chose. Le désir de savoir donne la facilité d’apprendre. D’abord, il y faut prendre de la peine, se roidir contre les difficultés du commencement et l’ennui des premières obscurités ; mais cela fait, aussitôt que l’on a commencé de vaincre, c’est un plaisir pareil à celui d’un beau voyage, et encore plus grand, car là aussi on veut devenir plus fort ; on grandit, on monte ; on découvre sans cesse, comme sur la montagne, de nouveaux horizons ! Enfin, chaque problème, ne trouves-tu pas, c’est comme un secret à découvrir, et quand on est curieux, ou curieuse.

« — Et les tapisseries ? m’a dit maman.

« — Je me suis mise à rire en l’embrassant.

— Oh ! chère maman, que je te remercie d’avoir insisté ! Quoi ! passer des années si précieuses, des années entières ! à ne faire que de petits points les uns à