Aller au contenu

Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/224

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

côté des autres ! C’est là ce que je voulais !… Au lieu de grandir, me courber en deux !… J’étais folle ! Oh non ! Faire de la tapisserie, c’est bien, aux moments perdus, en causant. Je veux, mère chérie, te faire comme cela un tabouret, et si je puis, peut-être, un fauteuil à papa. Mais un ameublement tout entier, non ! cela coûterait trop cher.

« — Trop cher de quoi ? demanda maman.

« — De temps.

« — Oui, de temps, le plus cher de tous nos biens. Employer ce temps, si précieux et si limité, à orner sa maison, au lieu de s’améliorer soi-même, est une grande folie ! L’homme est né pour le travail utile à l’esprit, mais non pas seulement pour celui du ver qui file, de l’araignée qui tisse, de la bête de somme qui porte les fardeaux, ou de la machine obéissant à la force motrice. L’homme est fait pour exercer dans tous les sens son activité morale, intellectuelle, physique, non pour la concentrer sur un seul objet, et surtout sur un objet sans utilité réelle et sans avenir.

« Et tu ne sais pas, Édouard ? Après avoir beaucoup parlé de tout cela, nous sommes convenues, maman et moi, que nous ferions le matin nos chambres, afin que Mariette pût enfin apprendre à lire couramment, ainsi que l’arithmétique, dont nous lui donnons des leçons ; car il ne faut pas ne songer qu’à soi. Mariette, à qui son ignorance pesait, est ravie. Et je suis très-contente moi aussi de me sentir utile à moi-même et à une autre ; car je sens que je fais bien, et c’est pour cela, petit frère, que j’ai voulu te l’écrire ; si tu n’as pas encore senti ces choses-là toi-même, cela t’aidera à les comprendre plus vite. Je trouve, comme le dit maman, que c’est très-beau, la justice des choses, puisque nous recueillons dans nos propres actes la récompense ou la punition qu’ils méritent. J’ai eu bonne volonté ; j’ai fait un effort et il m’en revient toute une source de jouissances et de forces nouvelles. Oui, c’est très-bien !

« Quand nous étions petits, on s’efforçait de nous rendre l’étude facile, parce que nous étions trop faibles encore pour comprendre la nécessité de l’effort et pour le pouvoir donner. Mais nous le pouvons maintenant.

« Quand tu reviendras, Édouard, nous verrons ensemble ce que nous avons appris. Quand tu reviendras ! quel bonheur ! Cher petit frère, je t’embrasse de tout mon cœur. « ADRIENNE. »

« P. S. J’arrive en algèbre aux équations du 2° degré, et je suis en physique à l’expérience de Toricelli. Et toi ?

« Minette élève un adorable petit chat noir et blanc, qui m’aime déjà beaucoup. Pour Apis, il me regarde toujours, quand je lui dis ton nom, avec de grands yeux doux et tristes, et il pousse une sorte de soupir, d’un accent interrogateur, qui signifie, aussi bien que s’il parlait :

« — Pourquoi n’est-il pas ici ?

« — Je lui réponds alors : — Dans deux mois, Apis, dans deux mois !

« — Mais c’est ennuyeux qu’il ne comprenne pas. »

Après cette lecture, qui était le dernier récit qu’on dût entendre, la question de la justice des choses fut agitée de nouveau, et chacun donna son avis.

Il n’y eut que Charles qui déclara n’être pas suffisamment convaincu et faire ses réserves. Les autres dirent unanimement qu’ils voyaient bien — tant par les exemples donnés que par leur propre expérience, mieux comprise — qu’en effet, chaque mal devait porter sa peine ; soit au dehors, dans la société, en nous attirant l’affection ou l’antipathie, ou le dé-