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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/256

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froideur de l’accent avec lequel on disait :

« Ah ! c’est vous, Édouard ; vous voici en vacances ? »

Après quoi l’on s’extasiait sur sa bonne mine, sur ce qu’il avait beaucoup grandi, et l’on conseillait unanimement à ses parents de le replacer après les vacances dans une maison où il paraissait être si bien. Il semblait qu’on trouvât que c’était encore assez long de l’avoir là pendant un mois, et c’était d’un air contraint, et sans aucune insistance, qu’on l’engageait à venir voir les enfants de la maison. Édouard sentait bien, sous la politesse, l’absence de la bienveillance, qui est son parfum. Il le sentait d’autant mieux qu’il arrivait inquiet de l’accueil qu’on allait lui faire. Son air embarrassé le disait assez, et sa réserve et son mutisme n’étaient pas faits pour donner de lui d’autres impressions que celles qu’on avait gardées.

Sa mère lui fit des observations à cet égard. Elle eût voulu qu’Édouard se montrât au dehors tel qu’il était à la maison, gai, d’humeur agréable, causeur, intelligent. Adrienne s’exclama beaucoup sur ce «qu’on devenait si timide à la campagne et taquina son frère à ce sujet. Édouard, malgré cela, ne parvint pas à vaincre sa timidité, parce qu’elle n’était au fond qu’une susceptibilité douloureuse. Il y fût arrivé peut-être, si on l’eût aidé ; mais ce n’est que dans la famille ou chez les vrais amis qu’on trouve ces tendres indulgences et ces généreux pardons grâce auxquels on se sent absous. Les autres se défient longtemps et ne se rendent que sur preuves» encore faut-il que ces preuves soient répétées, claires et même éclatantes. Oui, les mamans, Se rappelant la mauvaise conduite d’Édouard, se défiaient de lui et ne le voyaient pas de bon cœur avec leurs enfants.

Seulement, il s’exagéra cette défiance. Car on est beaucoup moins sévère, heureusement, pour les enfants que pour les hommes. Comme ce sont de jeunes êtres en voie de changement et d’accroissement incessants, on admet plus facilement, et avec raison, qu’ils se corrigent. Si Édouard, au lieu de rester morne, timide, silencieux, se fût laissé aller franchement à son naturel, on aurait bien vu que cet enfant n’avait commis de si vilaines choses (très-peu de gens, d’ailleurs, savaient tout, du moins je le crois), que par entraînement de mauvaise compagnie, et non par de mauvais instincts naturels. Mais comme il était morose, on le croyait sournois, sorte de caractère très-opposé au bon vouloir et à la franchise,

Une fois qu’Édouard fut entré dans cette disposition pénible, elle ne fit que s’accroître. C’était entre lui et les autres une sorte de malentendu qui allait de plus en plus s’embrouillant. L’esprit en éveil sur ce sujet, souvent il prenait pour lui des paroles qui ne lui étaient pas adressées, ou interprétait mal ce qu’on lui disait. Bien que tous les yeux soient construits de même, il y a pourtant, au propre et au figuré, différentes manières de voir ; il y a également différentes manières d’entendre, et une même phrase est quelquefois comprise de deux ou trois façons.

Ainsi les mots de menteur, mensonge, ne pouvaient être prononcés devant Édouard sans qu’il se mit à rougir jusqu’aux oreilles, et il pensait même qu’on le faisait exprès, méchamment, ce qui, en général, n’était point.

Mais la susceptibilité est un malaise de l’esprit, une sorte de maladie qui empêche de juger sainement des choses. C’est comme un membre meurtri que fait souffrir une pression légère, qui serait insensible à l’état normal.

Voici un exemple entre mille de la susceptibilité d’Édouard.

On parlait d’un voyageur revenu d’Égypte