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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/288

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Pendant les trois jours qui s’écoulèrent jusqu’à celui de la fête, il y eut plus que jamais, entre Édouard et sa mère, échange de tendresses, entretiens fréquents, ententes secrètes. La mère, sentant que son cher enfant avait pris une résolution courageuse et qu’il allait peut-être au-devant de nouvelles épreuves, eût voulu lui communiquer de sa force à elle, et la lui versait de son mieux dans ses regards, dans ses paroles et dans ses caresses, car l’amour aussi, comme la raison, fortifie. Édouard le sentait bien, et il ne quittait pas sa mère, l’aidant à ses travaux, l’accompagnant dehors, ou lui faisant la lecture quand ils ne conversaient pas. De cette étroite et douce intimité, Adrienne n’était point exclue ; c’est elle-même qui se tenait à part. Décidément, elle était de mauvaise humeur.

La veille de la partie de campagne, quand la maman d’Édouard vint l’embrasser, déjà couché dans son petit lit, elle semblait inquiète en le regardant. Il lui jeta les bras autour du cou.

« N’aie pas peur, maman, dit-il. Je m’attends bien qu’on se moquera de moi à cause de ma scène ridicule de l’autre jour ; on cherchera même peut-être à me tourmenter ; mais je veux être fort et je le serai. Je suis encore bien petit ; mais si ma conscience n’est pas forte, j’ai la tienne avec moi et comme cela c’est assez ; parce que, vois-tu, je me suis dit, et je sens très-bien à présent que, lors même que tout le monde m’insulterait — excepté mon papa, bien entendu, et ma sœur — pourvu que tu me dises, toi, que j’ai bien fait, je serai content. »

La maman serra bien fort son cher fils contre son cœur :

« Voilà, dit-elle, une parole qui me récompense de toutes les peines que j’ai prises et de tous les soins que j’ai eus pour toi. Cependant c’est bien parce que tu es encore un enfant. Mais — sans jamais rejeter le doux et puissant secours de l’affection — il faudra tendre de plus en plus à ne relever que de ta propre conscience, et à la rendre assez forte pour qu’aucune autre, fût-ce la plus pure, n’en soit maîtresse. Car nous devons cela à notre nature, qui est faite pour voir, savoir par elle-même et non par autrui. Nous sommes des agents de vérité ; chacun donc doit faire sa tâche, selon ses forces et à sa manière, sans la rejeter sur d’autres. Pour quelques années encore seulement, ton âme peut se nourrir de la mienne, comme autrefois ton corps s’est nourri du mien. — Demain, ajouta-t-elle en lui donnant un dernier baiser, je te quitterai le moins possible. Espérons que tu pourras t’amuser et qu’il n’arrivera rien. »

Le ciel du matin était d’un gris-bleu charmant, quand Édouard ouvrit sa fenêtre aux premières clartés de l’aube. Déjà la fenêtre d’Adrienne était ouverte, et la petite paresseuse, qui trouvait si dur !… si dur !… à l’ordinaire, de se lever à sept heures, avait dû cette fois sauter hors du lit vers cinq heures, puisqu’elle était occupée en ce moment à peigner ses cheveux blonds — tout en se frottant les yeux, il faut le dire. — Édouard, quoique avec moins de joie et d’entrain, se trouva prêt comme elle à déjeuner vers six heures, après quoi l’on descendit à pied au chemin de fer.

Cette course à l’air du matin avait réveillé la vivacité d’Édouard. Quand on eut dépassé la première station, l’air des champs, qui arrivait par bouffées, tout chargé d’aromes, dans le wagon, lui rendit les influences vivifiantes de Trèves et presque toute sa gaieté. Il jeta un regard charmé sur la campagne, dorée des premiers rayons, reporta les yeux vers sa mère, et lui envoya un grand sourire.

Il était neuf heures et demie quand ils arrivèrent à la campagne de Mme Albin,