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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/289

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située dans les champs, hors du village. D’autres invités s’y trouvaient déjà ; il en arrivait à chaque instant, et bientôt l’on se trouva quinze, jeunes filles et petites filles, garçons et bébés, mères et enfants. Les papas, ceux du moins qui étaient occupés toute la journée, ne devaient venir que le soir. Sous un toit de vigne formant vérandah, se trouvait une table rustique chargée de lait, de beurre, de miel, de gâteaux, et où chaque arrivant était invité à prendre place. Plus d’un, l’air du matin aidant, ainsi que la vue de ces choses appétissantes, oublia qu’en thèse générale on ne déjeune pas deux fois, et ne s’en trouva que mieux, car tout est exception en de pareils jours.

« Or çà, demanda la maîtresse de la maison, qu’allons-nous faire maintenant jusqu’à midi, en attendant le gros de la troupe et le second déjeuner ?

— Le troisième ! » dit quelqu’un.

L’on rit, et Me Albin continua :

« Nous avons le jardin et la cour, où l’on peut jouer à différents jeux. Nous avons la Marne et ses ruisseaux, dont l’un, qui traverse notre pré, contient des écrevisses…

Sept ou huit jeunes voix l’interrompirent en criant :

« Oh ! les écrevisses ! les écrevisses ! »

Les mamans furent moins enthousiastes, pourtant ; leur opposition très-modérée, ne visait qu’à obtenir un traité, bientôt conclu : on ne salirait pas sa toilette.

« Pas trop ! » dit un espiègle, — à moins que ce ne fût une conscience timorée, qui avait peur de ne pas tenir un engagement trop rigoureux. On partit.

C’était dans un joli pré, entouré d’arbres, que passait le ruisseau des écrevisses, et sur les bords du ruisseau croissaient des saules argentés. Les enfants se répandirent dans la prairie, tout joyeux : les

jeunes garçons galopant comme des poulains échappés, les petits trottant par derrière : et, fermant la marche, les fillettes qui, se donnant le bras, prenaient des airs plus posés, mais non moins riants, et plus d’une boudant au fond sa grandeur qui l’attachait au rivage.

Tout d’abord il y eut des promesses enfreintes ; car, emporté par l’élan de sa course, un des grands ne s’arrêta qu’au beau milieu du ruisseau ; et parmi les petits, celui qu’on appelait Fanfan l’Éveillé (parce que son nom était un peu long : Barthélemy, et qu’ayant cinq ans à peine, il avait de l’esprit pour dix), fut la victime d’un accident analogue. Il enfonça le pied dans un de ces trous que creusent sur les prés aqueux le pied large et lourd des vaches, et poussa un cri de détresse qui fut entendu d’Édouard. Celui-ci revint sur ses pas, tira la jambe de Fanfan, et voyant la mine piteuse du pauvre bébé, à l’aspect de sa bottine engluée de boue, le transporta sous un saule et s’efforça de réparer le mal en essuyant la bottine avec de l’herbe sèche.

« Tu es bien gentil, lui dit Fanfan ; mais, poursuivit-il avec un grand soupir, ça n’empêche pas que ma bottine est bien laide tout de même ; et moi qui avais tant promis à maman de ne pas me salir !

— Attends, » dit Édouard, désireux de rendre à l’aimable bébé sa bonne humeur.

Trempant une poignée d’herbes dans le ruisseau, il parvint à donner à la petite bottine, sinon l’éclat du cirage, du moins celui de la propreté. Et tous deux étaient charmés de leur œuvre, quand Adrienne, s’approchant et examinant les choses comme une personne entendue, découvrit que le bas de Fanfan était tout trempé. Quel embarras nouveau. Il fallait bien, de par l’hygiène, déchausser Fanfan et faire sécher au soleil le bas et la bottine. Ce serait long. Et pendant tout ce temps l’infortuné Fanfan, ce petit composé de chairs