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Page:Magasin d education et de recreation - vol 17 - 1872-1873.djvu/72

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racontes mal. Y a-t-il là de quoi prendre la fièvre ? Cela ne t’empêcherait pas d’être un bon garçon, que nous aimons tous. »

Mais cette parole encourageante n’eut d’autre effet que de faire éclater Émile en sanglots, au milieu desquels, entre plusieurs paroles inintelligibles, on ne put distinguer que ces mots :

« Non… suis pas… bon garçon.

— Tu n’es pas un bon garçon ! s’écria sa sœur en le prenant dans ses bras. Ah ! par exemple ! si, tu l’es ; je le sais bien, moi. Tu es un bon, un excellent garçon, et c’est moi qui te le dis.

— Non ! répondit ou plutôt hurla le pauvre Émile, non, non !

— Nous arrivons au tragique, » dit à mi-voix Charles de son ton moqueur.

Pendant qu’Émile, au comble du désespoir, entourant de ses deux bras le cou d’Amine, et mouillant ses joues fraiches de larmes brûlantes, gémissait ces paroles, entrecoupées de sanglots :

« C’est moi… moi, Amine… qui ai cassé tes ciseaux ! oh !… et après, je… je… les ai jetés dans la Loire ! »

La philosophie de la sœur consolatrice ne fut pas complétement à l’épreuve de cette grave révélation. Ses ciseaux ! ses jolis petits ciseaux ! qui étaient un cadeau d’une de ses amies, auxquels elle tenait tant, et qu’elle avait tant cherchés et tant demandés à tout le monde, à Émile aussi !

Elle eut un moment de stupeur et d’indignation ; ses bras cessèrent de presser Émile ; ses lèvres cessèrent de s’appuyer sur le front du coupable et proférèrent d’un ton de reproche :

« C’est toi ! Tu as pu faire cela, toi ! Et pourquoi, méchant ? »

Mais Amine vit promptement qu’il n’était pas besoin d’accuser un criminel si repentant, et qu’il fallait bien plutôt le fortifier et le consoler ; car à peine eut-elle dit ces paroles, que les gémissements d’Émile de vinrent tout à fait désespérés, et que, se retirant des bras de sa sœur, il s’affaissa dans l’attitude d’un condamné. Aussi, vivement, le reprit-elle et le fit-elle asseoir de force sur ses genoux.

« C’est mal ! mais, puisque tu es si fâché, allons, je te pardonne. Calme-toi. »

Et elle recommença de l’embrasser. Et, comme une bonne petite maman qu’elle était pour lui, elle berça doucement sur ses genoux le gros garçon, qui sanglotait sur son sein.

« Ce brave Émile ! dit Charles, il a cru qu’il s’agissait d’une confession publique. Le fait est que ça y ressemblait fort.

— J] n’y a que vous, en effet, Charles, dit Mme Ledan, qui n’ayez pas donné dans cette sincérité, naïve peut-être, mais moins ridicule au fond que vous ne le pensez.

— En vérité, madame, dit Charles, un peu confus de la leçon que renfermaient ces paroles, c’est tout bonnement que je n’ai pas trouvé. Si j’avais cru que ce fût bien utile…

— Cherchez mieux, et vous trouverez », répondit-elle avec un sourire.

Il vint enfin à bout, le pauvre Émile, non pas de raconter, ce serait trop dire, mais d’expliquer son histoire. Et l’on y vit deux choses, qui se retrouvent dans presque tous les crimes et fautes de ce monde : d’abord, les circonstances atténuantes, qui enlèvent la préméditation et surprennent la volonté ; puis l’entrainement fatal qui, d’une première faute, en fait souvent naître beaucoup d’autres.

Émile avait pris les ciseaux d’Amine pour découper des cartes, sachant très-bien qu’elle ne l’aurait pas permis. Les petits ciseaux, auxquels on imposait un travail au-dessus de leurs forces, s’étaient cassés. Désolé de cet accident, effrayé des reproches que sa sœur était en droit de lui faire, Émile alors n’avait songé qu’à cacher sa faute et avait jeté les ciseaux dans le