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CONCURRENTS OU MYSTIFICATEURS



Charles et Arthur, ce dernier encore très vexé d’avoir été dépouillé de son argent par les pickpockets, quittèrent Rennes le lendemain de la mésaventure. Charles voulait se rendre directement à Dol, mais son ami s’attristait de ne pas connaître Saint-Malo ; il fut décidé qu’on pousserait jusqu’à cette vieille ville et qu’on s’y installerait. De là, les voyageurs se rendraient à Dol à bicyclette. Arthur ne quittait plus Charles, et quand celui-ci lui donna un peu d’argent pris sur la caisse du voyage, il ne l’accepta qu’en jurant qu’il n’y toucherait pas.

« Ce n’est pas nécessaire, ajouta-t-il, puisque je m’attache à tes basques. »

Charles avait souri. Combien de fois avait-il entendu de ces belles promesses ! Il avait envoyé une carte illustrée à son frère, mais n’y faisait pas allusion à l’équipée d’Arthur : elle n’avait pas eu de suites sérieuses et la raconter aurait plongé leurs parents dans une légitime inquiétude. À quoi bon, puisque Arthur était sain et sauf ?

Le train longea le canal d’Ille-et-Rance, ombragé de peupliers et de saules. Au loin s’étendaient des champs de bruyères roses parsemés, çà et là, de rochers gris. Les deux garçons se tenaient à la portière du wagon, parlant peu, ne voulant rien perdre du paysage. Un peu avant Saint-Malo, Charles tira un calepin sur lequel il écrivait son « journal », ses dépenses, et qui contenait, en première page, les conditions du concours ; rapidement il y inscrivit chiffres et notes.

« Voilà Saint-Malo ! annonça Arthur. Regarde, c’est beau ! »

Il n’y avait pas un souffle d’air sur la mer. Elle était d’huile, comme disent les marins ; doucement elle venait couvrir et découvrir les rochers de la baie.

Charles se rendit immédiatement à l’hôtel de Paris pour s’y installer avec son ami. Puis, avant le dîner, ils allèrent faire un tour en ville. Arthur s’amusa de l’anecdote que lui conta Charles pendant leur promenade sur le port.

Il fut un temps très ancien où le port de Saint-Malo était confié à la garde de dogues redoutables, descendant, disait-on, des chiens de guerre des Gaulois. Ils furent supprimés en 1770 pour avoir mordu les mollets d’un gentilhomme. Alors un auteur de l’époque fit cette chanson que l’on connaît encore :


Bon voyage, cher du Mollet,
À Saint-Malo débarquez sans naufrage.

Bon voyage, cher du Mollet,
Et revenez si ce pays vous plaît…


Le soir, pendant que les deux chercheurs de trésor dînaient dans la salle à manger de l’hôtel, Charles eut tout à coup un sursaut : dans le monsieur et les deux jeunes gens qui venaient de s’asseoir à la table voisine de la leur, il avait reconnu le groupe déjà rencontré à Rennes et qu’il supposait être un précepteur voyageant avec ses élèves. Ils étaient bruyants et ne cessaient de parler.

« Oui, disait l’un des jeunes gens. Il faut être à Dol à cinq heures du matin. Il n’y a pas un instant à perdre.

— À cinq heures ! À cinq heures ! répondit l’autre ; alors il faudra se lever à trois heures !

— Non, dit celui que Charles qualifiait de « précepteur », partons ce soir… Nous coucherons à Dol… sans cela nous risquons fort d’être devancés.

— Moi, je reste ici… je suis fatigué…

— Si tu es fatigué pour si peu !… »

Charles allongea dessous la table un coup de pied à Arthur.

« Il y a moyen de tout arranger, continua le précepteur : que Doudou reste ici dans son lit, tandis que nous irons à Dol.

— Mais je ne veux pas rester seul ici, s’écria celui qui répondait au nom de Doudou.

— Oh ! là ! là ! Quel emplâtre ! Quel empoté ! » s’écrièrent ses compagnons d’un air mécontent.

Arthur souffla tout bas à Charles :

« Seraient-ce des concurrents ? En tout cas ils n’ont pas l’air bien élevés. »

Charles ne répondit rien ; il écoutait.

Mais leurs voisins continuèrent leur repas sans prononcer un mot et les deux