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C’était le manager.

Il se nommait Godolphin et, de son ancien métier de bateleur, il gardait le bagout, l’accent canaille et l’allure bon enfant. La splendeur de sa position actuelle n’avait pu lui faire perdre le goût de chiquer ni celui de s’enivrer, après les représentations, soit solitairement, dans sa chambre, soit en compagnie d’un ami de rencontre. La seule précaution qu’il prenait était d’enfermer préalablement son singe à double tour et à triples verrous.

À la vue de son montreur, le gorille poussa un soupir, se leva avec une expression indéniable de résignation et s’avança vers lui.

— Ça va, ma vieille, demanda Godolphin, en lui tendant la main, avec un gros rire.

Gravement, le gorille la prit et la serra.

— Pas si fort ! mon vieux Poil-aux-pattes, tu ne connais pas ta poigne !

Et Godolpin secoua ses phalanges meurtries.

— Ça ne fait rien, va ! du moment que le cœur y était… Entre, y a du monde. On va te présenter.

Dans la chambre voisine, où le gorille pénétra à sa suite, il y avait une jeune fille, revêtue d’un waterproof et coiffée d’un canotier.

— T’intimide pas, vieux frangin, c’est entre artistes, dit le saltimbanque. Et il présenta : Master Charly, grand premier rôle… Mademoiselle Bertha, ingénue.

Le gorille s’inclina légèrement devant l’actrice.

— Hein ?… fit Godolphin, triomphant de l’étonnement de la jeune fille. Monsieur a du monde ! Ah ! c’est un numéro !

Il avança une chaise au gorille et lui tapa sur l’épaule.

— Assieds-toi, On va jaspiner… Tu fumeras bien un cigare pendant que je t’expliquerai la chose.