Page:Magre – Conseils à un jeune homme pauvre qui vient faire de la littérature à Paris, 1908.djvu/45

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cevras ta silhouette dans une glace et tu n’en seras pas mécontent.

Cela durera jusqu’à la minute où tu auras regardé trop attentivement une jeune fille, une jeune fille dont le costume compliqué, les cheveux fins, la grâce délicate résumeront pour toi tous les charmes du monde parisien. Tu verras son regard froid et attentif, plein de curiosité, longuement fixé sur tes pieds. Ce regard sera sans mépris, sans ironie même, ce sera un regard qui constate, qui enregistre. Il enregistrera la forme surannée de tes bottines, la chute maladroite de ton pantalon. Pour la première fois de ta vie tu penseras à tes pieds et à leur grande importance.

Avec une moue presque imperceptible, le visage charmant se sera détourné pour jamais. Tu regarderas autour de toi et tu t’apercevras que toutes les bottines voisines sont vernies et semblent neuves, tandis que les tiennes sont seulement cirées avec soin et déformées par des marches anciennes.

Un horrible génie de comparaison naîtra tout d’un coup dans ton âme. Tu auras honte de tes cheveux trop longs, de ton col trop large, de ton gilet trop étroit. Ton pantalon te sera odieux parce qu’il n’aura pas de pli. Tu haïras ta mère ou ta sœur parce qu’elle t’aura donné tes boutons de manchettes. Ton habit se sera soudain fané sur ton dos ; une tache que tu n’avais pas vue, se mettra à briller comme un phare.