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AGRICULTURE : CONSERVATION DES RECOLTES.

Société royale et centrale d’agriculture, le minimum de la moyenne prise par département, du prix proportionnel du battage, à la valeur vénale du rendement en grains, est de 3 p. 100. C’est le département de la Haute-Garonne qui jouit de cet avantage. Dans le département de Tarn-et-Garonne, le prix du battage est 5 p. 100 ; dans celui des Pyrénées-Orientales, de 5 1/2 p. 100 ; dans ceux de Jura et de la Sarthe, 6 1/4 p. 100 ; Haute-Auvergne, Basse-Auvergne, 8 p. 100 ; Puy-de-Dôme, 6 1/3 p. 100 ; Haute-Saône et Haute-Vienne, 6 2/3 p. 100 ; Isère, 8 1/2 pour 100.

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§ ii. — Du dépiquage des grains.

Le dépiquage est l’égrenage fait au moyen du piétinement des animaux. Ce mode est très-ancien dans les pays méridionaux. Les dégâts que les animaux font ordinairement pendant la récolte peuvent avoir donné lieu à cette découverte : quelques gerbes renversées et foulées aux pieds des animaux, auront été remarquées par un agriculteur industrieux qui aura conçu la première idée que le piétinement des animaux suffit pour faire sortir les grains des épis.

De nombreux documens historiques prouvent que le dépiquage a été connu, de temps immémorial, des Hébreux, des Egyptiens et des autres peuples de l’antiquité.

En France, ce mode d’égrenage date probablement de l’époque des Croisades. L’usage en a été de tout temps borné à quelques contrées méridionales de ce pays, et il y est resté confiné. Il est généralement répandu dans les départemens de Vaucluse, de l’Hérault, des Bouches-du-Rhône, des Basses-Alpes, du Var et du Gard ; dans 6 autres départemens, il est en usage simultanément avec le battage au fléau ; ce sont l’Ariége, l’Aveyron, les Pyrénées-Orientales, la Haute-Garonne, l’Aude et la Corse.

Pour être à même d’apprécier les avantages et les inconvéniens du dépiquage comparativement aux autres procédés d’égrenage, il faut connaître tous les détails de cette opération. L’abbé Rozier en a fourni, dans son Cours complet d’agriculture, une description aussi claire qu’exacte ; nous la lui empruntons. — « On commence par garnir le centre de l’aire par 4 gerbes sans les délier ; l’épi regarde le ciel, et la paille porte sur la terre ; elles sont droites. À mesure qu’on garnit un des côtés des 4 gerbes, une femme coupe les liens des premières, et suit toujours ceux qui apportent les gerbes ; mais elle observe de leur laisser garnir tout un côté avant de couper les liens. Les gerbes sont pressées les unes contre les autres, de manière que la paille ne tombe point en avant ; si cela arrive, on a soin de la relever lorsqu’on place des nouvelles gerbes : enfin, de rang en rang, on parvient à couvrir presque toute la surface de l’aire.

» Les mules, dont le nombre est toujours en raison de la quantité de froment que l’on doit battre, et du temps qu’on doit sacrifier pour cette opération, sont attachées deux-à-deux, c’est-à-dire que le bridon de celle qui décrit le côté extérieur du cercle est lié au bridon de celle qui décrit l’intérieur du cercle ; enfin, une corde prend du bridon de celle-ci et va répondre à la main du conducteur qui occupe toujours le centre ; de manière qu’on prendrait cet homme pour le moyeu d’une roue, les cordes pour ses rayons, et les mules pour les bandes de la roue. Un seul homme conduit quelquefois jusqu’à 6 paires de mulets. Avec la main droite et armé du fouet, il les fait toujours trotter, pendant que les valets poussent sous les pieds de ces animaux la paille qui n’est pas encore bien brisée, et l’épi pas assez froissé.

» On prend, pour cette opération, des mules ou des chevaux légers, afin que, battant et pressant moins la paille, elle reçoive des contre-coups qui fassent sortir le grain de la balle.

» Chaque paire de mules marche de front, et elles décrivent ainsi huit cercles concentriques en partant de la circonférence du conducteur, ou excentriques, en partant du conducteur à la circonférence. Ces pauvres animaux vont toujours en tournant, il est vrai sur une circonférence d’un assez large diamètre, et cette marche circulaire les aurait bientôt étourdis, si on n’avait la précaution de leur boucher les yeux avec des lunettes faites exprès, ou avec un linge ; c’est ainsi qu’ils trottent du soleil levant au soleil couchant, excepté pendant les heures des repas.

» La première paire de mules, en trottant, commence à coucher les premières gerbes de l’angle ; la seconde, les gerbes suivantes, et ainsi de suite. Le conducteur, en lâchant la corde ou en la resserrant, les conduit où il veut, mais toujours circulairement, de manière que, lorsque toutes les gerbes sont aplaties, les animaux passent et repassent sur toutes les parties. — Pour battre le blé en plein air, soit avec le fléau, soit avec les animaux, il faut choisir un beau jour et bien chaud ; la balle laisse mieux échapper le grain.

» Le dépiquage se fait toujours en plein air, ce qui a de grands inconvéniens à cause de la pluie et surtout des orages Dans ce cas, on perd beaucoup de blé et de paille, quelque précaution qu’on prenne.

» Outre les mules, on emploie aussi des chevaux, des ânes, et même des bœufs. Les chevaux de la Camargue, à demi sauvages, petits et vifs, sont préférés à tous les autres. »

Les avantages que présente le dépiquage sur le battage au fléau se réduisent à 2 principaux : celui de la vitesse avec laquelle s’exécute cette opération, et celui d’améliorer la paille pour la nourriture des bestiaux. Sous ces 2 rapports le dépiquage ne laisse rien à désirer. Le produit d’une ferme assez étendue peut être égrené dans un jour par ce moyen expéditif ; rarement le battage dure au-delà de 15 jours dans les contrées où le dépiquage est répandu, et 2 mois sont le maximum de la durée de cette opération : généralement parlant, 15 jours suffisent pour opérer la dépiquaison d’une récolte qui aura nécessité 10 jours de coupe avec 16 hommes, lorsqu’on emploiera le service journalier de 12 à 14 chevaux.

D’après la réponse de M. Jaubert de Passa, faite aux questions proposées par la Société