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chap. 13e.
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DES CHEMINS VICINAUX.

instrumens, ils peuvent toujours s’achever dans les circonstances les plus favorables pour leur bonne exécution et pour leur durée, c’est-à-dire quand la terre n’est ni trop humide ni trop sèche ; et il résulte encore de la célérité du travail ainsi fait, qu’il suffit de quelques jours de surveillance, et que les dégradations n’ont pas le temps de s’accroitre d’un côté pendant qu’on répare de l’autre, comme il arrive fréquemment dans les travaux à la main, qui, à raison de leur lenteur, se font souvent en temps contraire, et exigent une surveillance continuelle. Il faut encore remarquer que dans les travaux exécutés avec des instrumens conduits par des chevaux, on a bien moins à redouter les pertes de temps et la paresse, parce que généralement l’homme craint beaucoup moins la fatigue pour ses chevaux que pour lui-même, et aime mieux donner un coup de fouet, qu’un coup d’épaule, ou un coup de pioche.

Il y a donc à la fois avantage pour la bonne exécution et bénéfice à employer des instrumens. Nous ajouterons que nous ne concevons pas la possibilité d’entretenir à peu de frais des chemins en terre constamment en bon état, autrement qu’en y employant des moyens mécaniques ; en effet, l’inconvénient principal de ces chemins est de s’amollir par les temps humides et de se rouager alors facilement ; et comme les ornières qui sont d’abord des effets de cet amollissement, servant de réservoirs aux eaux, deviennent bientôt elles-mêmes des causes très-actives de l’accroissement du mal, le seul moyen de l’arrêter est de combler les ornières dès qu’elles se forment : le travail à la main est trop lent et trop cher, et d’ailleurs il n’opère le comblement des ornières qu’avec de la terre divisée et ameublie, que l’eau pénètre et que les roues repoussent de nouveau, en y enfonçant avec la plus grande facilité, tandis que le cylindre de compression tasse immédiatement la terre refoulée et efface les frayés (ce qui est utile pour empêcher les chevaux de suivre toujours la même voie), et qu’il aplanit et raffermit en même temps tout le sol du chemin.

La conduite de ces instrumens n’exige aucun apprentissage, car le chevron s’attèle et se traîne comme la herse, et le cylindre s’attèle et se conduit comme une voiture lourde qui tournerait difficilement, c’est-à-dire qu’il faut seulement éviter de tourner court ; cependant, quand on y est obligé, on le peut encore facilement en faisant monter le cylindre sur une planche, ou sur une pierre plate, ou sur un petit monceau de sable, sur lesquels il pivote facilement[1].

Quant à la dépense première, elle n’est pas très-considérable ; un cylindre de compression, de 2 mètres de diamètre, peut coûter de 5 à 600 francs, un chevron 50 francs, et leur entretien est peu de chose. Il y a assurément peu de communes qui ne puissent faire cette dépense, pour un objet d’une aussi grande importance que l’amélioration de leurs chemins vicinaux, surtout en considérant qu’elle leur procurera sur les frais ordinaires de main-d’œuvre une économie annuelle, supérieure au montant du premier déboursé.

Les communes qui n’auront pas de revenus suffisans pour faire cette dépense, pourront s’entendre facilement avec des communes voisines, pour avoir en commun des instrumens qui serviront successivement à chacune d’elles, pendant un nombre de jours déterminé dans chaque mois ; en outre, quelque pauvre que soit une commune, il s’y trouve presque toujours des propriétaires riches, ou du moins aisés, qui, possédant ou cultivant de grandes étendues de terre, sont plus intéressés que les autres habitans au bon état des chemins vicinaux ; et il y en aura sans doute d’assez éclairés pour reconnaître qu’il leur sera véritablement avantageux de faire exécuter à leurs frais des cylindres et des chevrons, qu’ils emploieront à leur propre usage, pour leurs chemins particuliers d’agrément ou de culture et pour le roulage de leurs terres, et alors ils pourront les prêter ou les louer, pour les travaux de la commune. On vient de dire que ces cylindres peuvent être employés au roulage des terres ; en effet, avec leur poids simple, sans charge additionnelle, ils valent beaucoup mieux que les rouleaux, toujours trop légers, qu’on emploie ordinairement pour rompre les mottes et pour tasser les terres légères ou les prairies. Pour rendre les cylindres propres à ce service, il faut, comme on vient de le dire, enlever la charge supplémentaire intérieure, qui n’est nécessaire que pour les chemins ; alors ils peuvent, à raison de leur grand diamètre, être traînés partout facilement avec deux chevaux, et font un excellent travail. (Quelques cultivateurs de la Brie ont déjà adopté ces cylindres formés avec de vieilles roues.)

Quand on veut appliquer les cylindres alternativement à ces deux services différens, au lieu de faire le chargement supplémentaire en remplissant l’intérieur de terre ou de pierres, pour rendre le chargement et le déchargement plus faciles, on supprime les deux fonds du cylindre et on forme le poids additionnel avec des troncs de bois dur ou des pierres longues, ou bien encore avec des saumons ou de vieux tuyaux en fonte, qu’on passe dans les rais des deux roues, et qu’on fixe en enveloppant les extrémités saillantes hors des rais avec des cordes serrées au moulinet (fig. 492).

Fig. 492
  1. Sur huit ou dix voituriers pris au hasard pour conduire les deux premiers cylindres de compression que nous avons employés, d’un mètre et demi de diamètre, pesant 4.000 kilog., et l’autre de 2 mèt. de diamètre, pesant 6,000 kilog., et qui ont été employés à Versailles, à Orsay, à Gometz, et récemment à Paris, sur la chaussée du pont du Carrousel et aux Champs-Elysées, aucun n’a éprouvé de difficulté à manœuvrer ces cylindres.