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chap. 17e.
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DES POMMES-DE-TERRE.


risation du sol. Plus la récolte est considérable, plus cet état se trouve dans les conditions convenables ; plus le produit est mince, moins le sol est bien préparé mécaniquement.

L’action mécanique que les pommes-de-terre exercent sur le sol a également les résultats les plus avantageux au succès des récoltes ultérieures. Les tubercules, en grossissant, soulèvent la terre intérieurement, en écartent les molécules ; leur extraction ne peut avoir lieu sans remuer le sol a une grande profondeur ; les façons qu’on leur prodigue ameublissent la surface et détruisent les mauvaises herbes ; le feuillage abondant qu’elles produisent couvre le sol et empêche l’évaporation. Tout, ici, concourt à faire de cette plante une excellente préparation pour la plupart des autres végétaux, surtout si les circonstances ont permis de faire la récolte de bonne heure. Il ne faut pas oublier cependant que si cette dernière opération avait été exécutée à une époque très-avancée, les ensemencemens d’automne que l’on confierait ensuite à la terre se ressentiraient d’un vice de culture qu’on ne doit point rejeter sur la plante elle-même, mais sur l’imprévoyance des cultivateurs. La récolte étant une opération assez longue, il arrive que lorsqu’on cultive beaucoup de pommes-de-terre, on fait sagement de ne point leur faire succéder des fromens d’hiver ou du seigle, mais des plantes qui se sèment au printemps, comme du froment de mars, de l’orge, de l’avoine. C’est la pratique des meilleurs cultivateurs en France, en Allemagne et en Angleterre.

Dans le second de ces pays, les cultivateurs qui n’ont pu renoncer entièrement à l’assolement triennal, l’ont modifié de manière à suivre le cours suivant, dont on reconnaît tous les jours les avantages : 1re année : pommes-de-terre fumées, en place de la jachère ; 2e : orge avec trèfle, dans la sole de grains d’hiver ; 3e : trèfle, dans la sole de grains d’été ; 4e : trèfle en place de la jachère (1 coupe) ; 5e : froment d’hiver ; 6e : avoine.

L’ensemencement en céréales que suit une récolte de pommes-de-terre n’exige pas ordinairement de labour. On sème sur la terre après un coup d’extirpateur, et on enfouit à la herse ; quelquefois même on ne donne aucune préparation, mais alors la semence de céréales s’enfouit au moyen de l’extirpateur. Quelle supériorité n’a point un tel procédé sur une jachère, qui exige beaucoup de labours et ne produit rien !

Les pommes-de-terre réussissent très-bien après une récolte de printemps consommée de bonne heure. Ainsi, après des vesces, du trèfle incarnat, du colza pour fourrage, cette plante a souvent donné de plus beaux produits que si l’on n’eût rien demandé préalablement à la terre

Il est même des pays où l’hiver arrive assez tard pour permettre un ensemencement de pommes-de-terre après une récolte parvenue à maturité. Cela a lieu surtout après le colza, le lin, la navette. Il ne faut pas croire que cette facilité soit un privilège exclusif des climats méridionaux. Ce procédé est usité, non seulement dans quelques parties du territoire français, mais encore en Hollande et en Belgique.

L’écobuage rend soluble une telle proportion d’élémens de fécondité, que les céréales y poussent en paille, mais donnent peu de grains. C’est donc la pomme-de-terre qu’il faut préférer dans cette dernière circonstance. On ne doit pas surtout perdre de vue cette considération lorsqu’on livre à la culture des terrains tourbeux qu’on a écobués ou chaulés. C’est par les pommes-de-terre que doivent toujours commencer les nouvelles rotations.

La pomme-de-terre n’est point, comme l’ont avancé quelques botanistes cultivateurs, antipathique avec elle-même. Dans la plaine que baigne la Moselle depuis Epinal jusqu’à Metz, on suit de temps immémorial l’assolement biennal : 1° pommes-de-terre, 2° seigle. On trouve même, dans quelques parties, des terres qui reçoivent tous les ans un ensemencement en pommes-de-terre, sans qu’on aperçoive aucune diminution dans le produit. Schwertz rapporte des faits très-concluans. « Il résulte, dit-il, des observations qui m’ont été communiquées en Alsace, que la pomme-de-terre ne se repousse pas, lorsqu’elle est cultivée sur un terrain convenable. On m’a montré un champ qui en avait toujours porté de deux ans l’un. Ailleurs on en met 4 ou 6 ans consécutifs sur le même sol, sans que l’on aperçoive aucune diminution dans le produit. On cite des champs qui ont produit 6 récoltes successives de pommes-de-terre avec une seule fumure, et cette série de récoltes fut suivie par un ensemencement en orge dont le produit fut très-considérable. Dans un autre endroit, je vis un champ qui, dans l’espace de vingt ans, avait donné une fois de l’orge et 19 fois des pommes-de-terre. On cite, dans le Würtemberg, un propriétaire qui, 32 années de suite, avait cultivé les pommes-de-terre sur le même champ, en fumant tous les ans. Mais à la fin les tubercules n’étaient pas plus gros qu’une noix. »


Cette propriété de la pomme-de-terre de revenir plusieurs fois sur le même terrain sans diminution dans le produit, simplifie beaucoup sa culture, parce que la terre est dans un ameublissement continuel, et que les frais d’entretien sont considérablement diminués. Les mauvaises herbes disparaissent totalement après deux ou trois années. Aujourd’hui que la féculation des produits de cette plante est une branche importante de l’industrie agricole, il était nécessaire de faire connaître les avantages et la latitude que les cultivateurs peuvent avoir sous ce rapport.

§ V. — De la fumure.

On pourrait sans doute cultiver la pomme-de-terre sans fumier dans un sol amélioré de longue main, mais ce ne peut être que dans quelques cas exceptionnels ; et l’épargne qu’on aurait cru faire amènerait inévitablement l’épuisement total du sol, et la non-réussite des autres récoltes. La vieille force est un trésor dont on ne doit user que modérément. On se plaint généralement que les morelles contractent une odeur désagréable si on leur applique un engrais de fumier frais ou de gadoue, quoique cette dernière