Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, I.djvu/497

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séminer peu après qu’elles ont été produites, nuisent aux plantes avec lesquelles elles se trouvent en contact immédiat. Cet inconvénient, joint à celui du piétinement, dont les effets sont très-marqués par suite de la forme de son pied, explique pourquoi, dans les anciens baux, ou stipulait communément qu’on n’en mettrait pas plus d’un certain nombre sur telle ou telle étendue de pâturage. — Les herbages qui lui conviennent ne sont donc ni ceux dont l’aridité exclut les engrais chauds, ni ceux que leur humidité rendrait trop faciles à défoncer.

Les bêtes à laine pincent l’herbe beaucoup plus près encore que le cheval. Elles l’arrachent même par un mouvement de tête bien connu, lorsqu’elle est encore trop jeune pour avoir formé une touffe de quelque épaisseur et poussé des racines en suffisante quantité. Aussi se garde-t-on bien de mettre des moutons sur des pâturages ou des prairies tout nouvellement formés. Ces animaux, redoutant par-dessus tout l’humidité du sol, se plaisent sur les herbages élevés, arides même. Cependant ils se trouvent fort bien des pacages plus riches, pour peu qu’ils soient sains. Dans quelques parties des Pyrénées-Orientales, notamment aux environs de Pratz-de-Mollo, à l’époque où les troupeaux, sortant de leurs quartiers d’hiver, se répandent dans les campagnes, les propriétaires les plus heureusement situés afferment momentanément aux bergers les pièces enherbées qu’ils sont dans l’intention de rendre pour quelques années à la culture, ou les herbages féconds dont on extrait le soir les animaux pour les parquer sur les terres arables ; — ceux dont les habitations sont plus élevées, par conséquent moins accessible et presque toujours d’un moindre rapport, s’estiment heureux de fournir le pâturage en compensation du fumier qu’il produit ; — enfin, ceux qui résident à des élévations plus grandes encore, paient de quelques indemnités le séjour des troupeaux que la pauvreté de leurs guides prive de meilleurs pâturages.

De tous les herbivores, la chèvre est un de ceux que l’on doit considérer comme le moins délicat sur le choix de sa nourriture, mais aussi comme l’un des plus vagabonds et des plus destructeurs. Elle se contente, au besoin, des herbages les plus escarpés et les plus couverts de broussailles. Lorsqu’on lui en livre d’autres, il faut apporter la plus rigoureuse attention à défendre contre ses atteintes les haies et les plantations voisines.

Quoique, trop souvent, on réunisse pèle-mêle sur les mêmes pâturages les animaux les plus différens, cette pratique ne doit pas être approuvée. A la vérité, chaque espèce ayant une manière différente de brouter l’herbe, et ceux-ci pouvant utiliser ce qui ne convient pas à ceux-là, il n’est pas douteux qu’on ne puisse ouvrir les pâturages à plusieurs ; mais si on les y laisse ensemble, ils se gênent et se privent mutuellement de la nourriture qui leur convient le mieux. Il est donc infiniment préférable de les répartir successivement, lorsque cela se peut, sur chacun des enclos dont j’ai fait ressortir l’avantage en parlant des clôtures. Les Hollandais nous ont donné sur ce point d’excellens exemples : — chez eux, les bœufs et les vaches passent les premiers ; — quelques chevaux leur succèdent lorsque l’état et la nature du sol le permettent ; — viennent ensuite les moutons ; — puis parfois des cochons qui déterrent et détruisent les racines charnues ou tuberculeuses des mauvaises herbes. Après ces animaux, il est nécessaire de râteler çà et là la surface du sol qu’ils ont fouillé, puis, bien entendu, de donner aux graminées le temps de repousser.

Lorsqu’on fait passer les bestiaux de leur régime d’hiver au pâturage, il importe que ce soit le plus tôt possible, et que la transition ne soit pas trop brusque. Par ce double motif, bien plus encore que pour ne pas donner aux herbes les plus précoces le temps de s’élever assez pour être délaissés, on fera bien d’ouvrir les herbages au printemps, aussitôt que l’état du sol le permettra. On ne craint point ainsi les inconvéniens qui pourraient résulter d’une nourriture verte trop succulente et prise, tout d’un coup, en trop grande quantité.

Depuis ce moment jusqu’à ce que les pluies continuelles ou les trimas de l’hiver mettent un obstacle plus ou moins long à l’entrée des bestiaux sur les terres, le pâturage se continue dans beaucoup de lieux sans discontinuer. Dans d’autres cependant on l’interrompt pendant une partie de la saison des fortes chaleurs et de la sécheresse, d’une part, parce qu’il ne présente alors presque aucune ressource au bétail, et de l’autre, parce qu’on craint, en mettant la terre trop a nu, d ajouter à son aridité, et de faire périr une partie des herbes qui la couvrent.

Il serait fort difficile d’indiquer, même approximativement, le nombre d’animaux de chaque espèce qu’il convient de mettre sur une étendue donnée de pâturage ; car cela dépend de sa fertilité, de la saison, et du plus ou moins de nourriture que les troupeaux reçoivent à l’étable en diverses saisons. Tout ce qu’on peut dire, c’est que, lorsque l’herbage est trop chargé, les bestiaux pâtissent, et, ne trouvant pas la nourriture suffisante, ils rongent les plantes jusqu’au collet et souvent les arrachent. — Lorsqu’au contraire ils sont en trop petit nombre, ils foulent aux pieds et détériorent presque autant d’herbes qu’ils en mangent ; ils délaissent toutes les plantes qui les appètent le moins, et c’est une raison pour qu’elles se multiplient davantage ; car, s’ils ne les ont pas broutées lorsqu’elles étaient tendres, ils y toucheront bien moins encore à mesure qu’elles durciront, de sorte qu’à moins d’une surveillance, trop rare chez la plupart des cultivateurs, elles mûriront et répandront annuellement leurs graines au grand détriment du reste de l’herbage pour les années suivantes.

Un excellent moyen d’éviter les inconvéniens divers qui résultent de la dispersion des animaux en trop petit ou en trop grand nombre sur les pâturages ou les prairies, c’est de faire la part a chacun, et de limiter l’étendue qu’il peut parcourir. Pour cela, dans beaucoup de contrées, notamment dans presque tout l’ouest de la France, on attache les animaux à une corde, dont la longueur est en rapport