l’on apprécie mieux les avantages des prairies artificielles, ces sortes d’herbages perdent-ils considérablement de leur importance aux yeux des cultivateurs instruits, et sont-ils successivement défrichés partout où les bons assolemens gagnent du terrain. — Si l’on n’a eu qu’elles en vue, je conçois fort bien l’opinion récemment émise dans un journal, que les prés naturels sont une superfétation et une dépense inutile, en ce sens qu’ils occupent une place qui pourrait presque toujours rapporter davantage tout calcul fait du prix de terme, de la somme des produits, et en définitive du bénéfice net.
On a quelquefois cherché à évaluer comparativement le produit des prairies permanentes et des terres arables. Un auteur justement célèbre les a divisées en 6 classes, dans l’ordre décroissant de leur fécondité ; puis, mettant en regard les unes des autres chaque classe correspondante, il est arrivé à ce résultat moyen que la valeur d’un champ, dans l’assolement triennal, n’est à celle d’un pré que comme deux à trois, lorsque des circonstances de localité n’apportent pas quelque changement à cette proportion. — En prenant pour point de départ l’assolement quadriennal, d’autres écrivains ont trouvé au contraire que le champ rapportait plus que la prairie. Pour ma part, j’avoue que j’ai appris à me méfier beaucoup de ces calculs dont la précision séduit plus qu’elle n’éclaire, et que je n’attache pas grande importance à des moyennes qui ne peuvent guider utilement la pratique locale, ainsi que le prouve suffisamment le peu de concordance qu’elles présentent entre elles dans les livres. — La valeur d’une prairie à base de graminées, même médiocre, peut être considérable dans les lieux où les terres arables ne sont pas propres à produire avec sûreté les meilleures plantes à fourrage ; — une bonne prairie peut au contraire être moins estimée dans les fermes où non seulement on récolte beaucoup de paille, mais où la nature des terres favorise la culture de la luzerne, du trèfle, des choux et d’autres plantes propres à faciliter l’hivernage du gros bétail ou des troupeaux. — À cette considération principale se joint celle de la proximité ou de l’éloignement de l’herbage du corps des bâtimens ; — les casualités d inondations intempestives ; — les travaux plus ou moins considérables d’entretien, etc., etc.
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iie sujet. — Des prairies à base de légumineuses.
L’introduction et la propagation rapide des prairies artificielles a été presque partout le principal, parfois le seul élément des améliorations qu’on remarque depuis un demi-siècle dans notre économie rurale. Heureusement cette vérité est désormais assez sentie pour se propager, eu quelque sorte, d’elle-même. — Parmi les terrains les moins propres aux cultures économiques, il en est que leur nature condamne à rester en pâturages ; — d’autres que leur position basse ou marécageuse doit faire réserver en prairies permanentes. En dehors de ce double moyen de pourvoir à la nourriture des herbivores, les prairies légumineuses en offrent un troisième sur les terres arables où elles se marient avec le plus grand avantage aux cultures qui ont pour but direct l’alimentation de l’homme, ou la production des plantes industrielles.
Dans l’état actuel de l’agriculture française, malgré le développement que prennent chaque année l’éducation et l’engrais des animaux, leur nombre, aux yeux des économistes, n’est guère plus de la moitié de ce qu’il devrait être. Il est pénible, en effet, de voir une partie essentielle de la population connaître à peine la viande de boucherie dont elle approvisionne les villes. — D’un autre côté, au milieu de ses inévitables variations si dommageables, tantôt au cultivateur par suite de l’abaissement du prix et du défaut de vente, tantôt au consommateur par une cause contraire, on ne peut pas dire qu’en définitive la production des grains dépasse en rien les besoins d’une population incessamment croissante. Il fallait donc trouver les moyens, pour qu’aucun intérêt ne fût froissé, d’augmenter le nombre des bestiaux et par conséquent celui des fourrages, sans étendre les prairies aux dépens des terres labourables. — La première pensée fut d’utiliser les années de repos de la terre ; — la seconde, d’obtenir davantage sur de moindres espaces, à l’aide de meilleures combinaisons de cultures. — Les prairies artificielles en offrirent les moyens. Le passé leur doit déjà beaucoup, et l’avenir peut leur devoir immensément encore.
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§ ier. — Des principaux avantages des prairies légumineuses, dans le système de culture alterne.
Les principaux avantages des prairies artificielles en elles-mêmes, sont : 1° de demander pour la nourriture d’un même nombre de bestiaux une étendue beaucoup moins considérable de terrain, que les pâturages et la plupart des bonnes prairies de graminées ; — 2° de disposer, en général, très-bien la terre à recevoir les plantes économiques les plus habituellement cultivées et du plus haut produit ; — 3° de faciliter, conjointement avec les racines fourragères, l’adoption du système de culture qui a pour base la nourriture du gros bétail et même des troupeaux à l’étable pendant la plus grande partie de l’année, parfois même pendant toute l’année.
Les deux premières propositions méritent ici quelque examen. Je parlerai avec plus de détails de la troisième au § iii.
D’après les évaluations de Gilbert pour l’ancienne généralité de Paris, évaluations qui reposent sur des données aussi nombreuses que précises, la production moyenne d’une étendue déterminée de terrain en prairie graminée, n’est à très-peu près que la moitié de celle d’une luzerne ; un peu plus de la moitié de celle d’un champ de trèfle, et elle s’élève sensiblement moins que le produit d’un sainfoin et même d’une culture de vesces.
Thaer, en généralisant les expériences qui lui étaient personnelles ou bien connues, arrive à des résultats plus frappans encore, puisque, sans faire la distinction des diverses