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liv. ier.
AGRICULTURE : SOL.


même à des Saules et des Peupliers. Quand on abat une forêt, non seulement les petites plantes qui croissaient sur ses lisières disparaissent, mais il en vient d’autres à la place de la forêt même, et qu’on n’y avait jamais vues.

D’un autre côté, il y a beaucoup de plantes qui, par la simplicité de leur organisation, s’accommodent de terres fort différentes. Ainsi M. De Candolle observe que les montagnes granitiques des Vosges, et les montagnes calcaires du Jura, nourrissent presque toutes les mêmes plantes. Ce célèbre botaniste dit même « qu’il ne saurait trouver un seul végétal qu’on puisse affirmer n’avoir été trouvé que dans des terrains calcaires ou que dans des terrains granitiques, » et déjà il avait reconnu que la nature de la terre n’a qu’une très-faible influence sur l’habitation générale des végétaux ; mais il en accorde une très-grande : 1o à la température, qui est déterminée par la distance de l’équateur, la hauteur au-dessus de la mer, et l’exposition au sud et au nord ; 2o au mode d’arrosement, qui comprend la quantité plus ou moins considérable d’eau qui peut arriver à la plante, la manière plus ou moins rapide dont cette eau peut se filtrer au travers du sol, les matières utiles ou nuisibles à la végétation de telle ou telle plante, qui sont dissoutes dans l’eau ; 3o au degré de ténacité ou de mobilité du sol.

À ces considérations générales, j’ajouterai que, dans un ouvrage de la nature de celui-ci, il est bien plus question de chercher à donner aux végétaux une terre propre à leur faire prendre le plus de développement possible et toutes leurs qualités, que d’examiner celle où ils croissent spontanément ; car un grand nombre de plantes sont plus parfaites dans nos cultures que dans leur station naturelle. Voyez le Trèfle, la Chicorée sauvage, la Laitue vivace le long de nos chemins ; la Carotte dans les clairières et dans les prés secs ; le Houblon dans nos haies : et considérez ensuite ces mêmes plantes dans nos cultures ! à peine pourrez-vous les reconnaître tant elles y gagnent en volume et en perfection. Le Tussilage (Tussilago farfara), qu’on ne trouve à l’état sauvage que dans l’argile presque pure et noyée d’eau pendant l’hiver, prospère à merveille transplanté en terre calcaire dans nos jardins. Le Salsifis des prés humides, pressé de toutes parts par les herbes à foin, développe une végétation luxuriante cultivé en plante sarclée. Des végétaux même que la nature ne fait croître que dans des fentes de rocher, tels que le Figuier, le Rhododendron, deviennent vingt fois plus grands et plus fertiles en bonne terre dans nos cultures que dans leur station naturelle. Je n’ai jamais trouvé le Buis nain à l’état sauvage que dans des terres argilo-calcaires, et pourtant il prospère dans tous les jardins, quelle que soit la nature de la terre. Dans le Périgord, la terre où croissent les Châtaigniers ne ressemble pas à celle où ils croissent dans la forêt de Montmorency ni dans le bois de Meudon. J’ai trouvé en Virginie plusieurs espèces d’Andromèdes en terre grouéteuse et granitique, que nous ne pouvons faire vivre ici qu’en terre dite de bruyère.

Des considérations d’un autre ordre nous amènent encore à n’accorder qu’une faible importance à la connaissance de la nature de la terre où croissent spontanément les plantes que nous voulons introduire dans nos cultures. Dans les terres légères, les racines se multiplient aux dépens de leur grosseur et de leur longueur ; dans les terres substantielles, mais perméables, elles grossissent et s’alongent aux dépens du nombre. C’est au cultivateur à savoir quelle est celle de ces deux modifications qui lui est le plus utile pour faire choix de la terre. C’est surtout à l’égard des racines alimentaires que nous devons donner, aux plantes qui les produisent, une terre plus riche en parties nutritives que celles où elles croissent naturellement, puisqu’il n’y a pas d’exemple que la nature nous les donne toute seule aussi grosses et aussi succulentes que quand nous les cultivons dans une terre que l’expérience a appris leur convenir.

Les produits végétaux sont généralement de meilleure qualité dans une terre légère que dans une terre forte ; mais on doit attribuer cette supériorité à la juste proportion d’humidité que retient la terre légère, et à la facilité qu’elle offre à l’air de la pénétrer. Si on la rend aquatique, ses produits perdent de leur qualité ; si on la dessèche outre mesure, il n’y croît plus rien. Donc, la nature de la terre est tellement maîtrisée par la température, la sécheresse et l’humidité, que, quoique indispensable à la végétation, son influence sur le développement d’un végétal plutôt que d’un autre n’est pas aussi grande qu’on se l’imagine généralement.

Je suis loin cependant de vouloir dire que l’étude des différentes sortes de terre que les plantes paraissent affecter dans leur station naturelle doive être négligée par le cultivateur ; j’ai seulement voulu montrer que jusqu’ici cette étude n’a encore offert que peu de ressources à l’agriculture. Pour en tirer tout le parti possible, il faudrait, je crois, la combiner avec la température et le degré d’humidité et de sécheresse dont elle est habituellement affectée chaque année. Alors cette étude deviendrait compliquée ; on ne se bornerait plus à dire : telle plante croit spontanément dans telle terre, mais on ajouterait : sous l’influence de telle température, de telle lumière, à telle hauteur, à tel degré d’humidité ou de sécheresse. Ce travail n’étant pas fait et ne pouvant se faire que par l’observation durant une suite de plusieurs années, je suis obligé de suivre le sentier battu, et de me borner à présenter ici le tableau des plantes qui croissent spontanément dans chacune des principales sortes de terres sur le sol de la France. Si d’un côté j’en ajoute quelques-unes aux listes déjà publiées, de l’autre j’en élimine un certain nombre dont la station ne me paraît pas aussi limitée à telle ou telle nature de terre que les collaborateurs du dernier Cours complet d’agriculture l’ont pensé.

La première ou les deux ou trois premières plantes de chaque section sont celles qui se montrent les premières de leur section dès que la terre qui leur est propre a subi assez de mélange pour que la végétation puisse