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liv. ier.
AGRICULTURE : AMENDEMENS.

3o À étudier la nature, les propriétés et la composition de la substance qu’on se propose d’employer, d’abord chimiquement ; mais cette étude ne suffit pas, attendu les effets très-différens que produisent souvent, en raison de la diversité de leurs propriétés physiques, des matières d’une composition semblable. Si l’on ne connaît pas déjà par avance le mode d’action et les résultats de l’amendement, on doit donc, pour en juger, avoir recours à un essai direct sur le champ à améliorer. Presque toujours l’examen de la manière dont se comportera dans ce cas l’amendement, et les changemens qu’il apportera dès la première année dans les qualités physiques du sol, suffiront pour faire apprécier ses effets, et l’on n’aura pas besoin d’attendre, pour se livrer en grand à l’opération, l’expérience de la culture durant toute la période d’action de l’amendement ;

4o À examiner la situation respective du terrain à amender et du gisement de l’amendement ; ce qui comprend : la distance à parcourir ; la facilité ou la difficulté que le terrain ou les chemins offrent à franchir cette distance ; le plus ou le moins de peines et de travaux que nécessitera l’extraction, en raison des terres supérieures à enlever ou détourner, de la profondeur où git la substance à extraire, de la résistance que présente cette substance à l’emploi de la pioche ou de la pelle ; la possibilité d’amener les voitures de transport à l’endroit même où se fera l’extraction ; etc.

5o Pour les amendemens stimulans qui sont rarement sur le lieu même à la disposition du cultivateur, mais aussi qu’on emploie souvent à de très-faibles doses, les calculs ci-dessus sont remplacés par ceux du prix d’achat et d’expédition, soit dans les villes de commerce, soit dans les centres de production, soit dans les usines où l’on peut se les procurer.

De l’examen des circonstances que nous venons d’énumérer sortira la solution de la question de savoir s’il y aura avantage à opérer l’amendement. En effet, l’agriculteur n’aura plus qu’à comparer entre eux, d’une part, les effets de l’amendement sur ses terres, et par conséquent les résultats qu’il est en droit d’en attendre pour l’accroissement de ses récoltes ou la facilité et l’extension de ses cultures ; d’une autre part, les dépenses qu’entraînera l’opération et qu’il est à même d’établir avec une exactitude suffisante, puisqu’il connaît la dose d’amendement qu’il doit employer, sa situation ou son prix, et par conséquent qu’il lui est facile de calculer approximativement les frais d’extraction, de chargement, ou ceux d’achat, et enfin ceux de transport, d’éparpillement sur le terrain, et du mélange de l’amendement avec la terre végétale.

Il reste maintenant à traiter des divers amendemens et de leur emploi ; ce qui comprend leurs propriétés, leurs effets, leur durée, la dose qu’il convient d’employer, l’époque et la manière de les répandre, etc.

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§ ii. — Importance de l’usage des amendemens.

La question des amendemens est d’un grand intérêt dans l’agriculture ; ce moyen d’améliorer le sol est trop peu connu et surtout trop peu pratiqué dans une grande partie de la France, et cependant c’est une condition absolument nécessaire à la prospérité agricole d’un pays : le départ. du Nord, la Belgique, l’Angleterre leur doivent en grande partie leur prospérité ; le départ. du Nord dépense tous les ans, sur deux tiers de son sol, en chaux, marne, cendres de mer, cendres pyriteuses, cendres de tourbe et de houille, 1,000,000 de fr.[1], etc. C’est principalement à ces agens d’amélioration que paraît due cette suite non interrompue de fécondité qui étonne tous ceux qui ne voient pas tous les jours leurs produits.

Dans le moment où nous sommes, sur tous les points de la France, l’agriculture, à l’exemple des autres arts industriels, est en travail d’amélioration ; de toutes parts, surtout, en essaie ou on veut essayer la chaux, la marne, les cendres, le noir animal. C’est le point particulièrement en progrès, celui qu’il faut surtout éclairer ; c’est cette pensée qui a présidé à la rédaction de cet article. Depuis près de 30 ans l’auteur s’est livré par goût à l’agriculture ; mais les amendemens calcaires ont été pour lui un sujet spécial d’études, dans la pratique de beaucoup de pays, dans le sien propre, dans ses essais personnels, et dans ce qu’en ont écrit les étrangers et les nationaux.

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§ iii. — Résultats de l’emploi des amendemens sur le sol français.

Les trois quarts de l’étendue du territoire français ont besoin, pour être fécondés, des agens calcaires ; si le tiers de cette étendue en reçoit déjà, ce que nous croyons au-dessus du vrai, sur les deux autres tiers qui font moitié du tout, les produits agricoles, par cette opération, croîtront de moitié en sus ou d’un quart au total. Mais par ce même moyen, en s’aidant encore de l’écobuage, la plus grande partie des sept millions d’hectares en friche et sans produit donnerait au moins un sixième du produit total actuel ; le produit brut du sol français, accru de plus d’un tiers en sus, pourrait donc occuper et nourrir une population aussi d’un tiers en sus de la population actuelle ; et cette révolution, due successivement au travail du sol, à des améliorations annuelles, qui se ferait avec les accroissemens progressifs des récoltes, serait insensible. L’État croîtrait en force, en vigueur, en richesse, en population active, morale, et qui serait dévouée à la paix et au pays, parce qu’elle prendrait sa part de ce sol nouveau et amélioré.

Sur notre étendue de 54 millions d’hectares, notre population, accrue et portée à 44 millions, où chaque individu a un hectare et quart, serait moins pressée que les 24 millions d’habitans du sol anglais qui n’ont pas un hectare par tête ; et cependant notre sol est au moins aussi bon et il est plus favorisé

  1. Statistique du département du Nord.