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chap. 9e
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DE LA VIGNE ET DE SA CULTURE.


puisse être sans une influence fâcheuse sur la qualité du vin, à moins d’un mélange de terre en grande proportion. Le dernier, surtout, a une odeur infecte et très-forte, ce qui doit être, les gallinacés étant omnivores ; mais je ne peux trop recommander, en ayant fait souvent l’expérience, la râpure de cornes, assez abondante dans les villes et d’un facile transport.

§ X. — Conduite de la vigne jusqu’aux vendanges.

Aussitôt ou bientôt après l’application des engrais, commence la première façon, c’est-à-dire le travail de la terre à la houe ou à la pioche ou pic à deux fourches. On commence à la donner dans quelques cantons dès la mi-mars, et cet usage étant dans l’intérêt du vigneron, on aurait bien de la peine à le faire changer ; il serait mieux de ne commencer qu’en avril ; mais c’est trop retarder cette façon que de ne la commencer qu’en mai, comme on fait dans quelques vignobles. C’est sans doute pour préserver les vignes des gelées tardives qui frappent plus facilement une terre fraîchement remuée ; mais ce préservatif n’est pas toujours sûr et entraîne de graves inconvéniens ; à la vérité, quand c’est une terre chaude, c’est-à-dire calcaire et point battante, ce retard procure un nettoiement plus exact du terrain. Ainsi donc, la fixation de ce moment dépend de plusieurs considérations : la nature du terrain, la variété du cépage, le but que l’on préfère atteindre, et les accidens le plus a craindre qui peuvent en détourner.

Après la 1re  façon viennent le placement des échalas et le ploiement des verges, rarement assez forcé ; car on conçoit aisément que plus il l’est, plus on est sûr de retenir la sève dans les premiers bourgeons et d’assurer ainsi la force de celui qui doit servir à asseoir la taille de l’année suivante : il serait heureux pour le propriétaire que l’on commençât le 1er  accolage aussitôt après avoir fini la première façon ; beaucoup des plus forts bourgeons, éclatés par les grands vents ou les pluies d’orage, seraient sauvés ; mais nos vignerons s’arrangent pour que les deux accolages soient faits en même temps et les retardent par cette raison jusqu’après la fleur.

C’est ordinairement à cette époque de l’accolage qu’a lieu l’ébourgeonnement dans les lieux où il est pratiqué. Cette opération, qui doit précéder l’accolage, consiste à supprimer tous les bourgeons qui ne portent pas de fruits et qui ne sont pas nécessaires pour la taille suivante. Elle est surtout importante pour les très-jeunes vignes et les vieilles aux premières, parce qu’elle donne plus de force aux sarmens restans et les dispose mieux au prochain provignage, dont elles ne peuvent se passer pour être peuplées convenablement ; aux secondes, parce que leur faiblesse leur rend plus nécessaire l’accumulation du peu de sève que le terrain leur fournit dans les bourgeons qu’on leur laisse. D’après M. Cavoleau, il n’y a guère qu’un tiers des vignobles de France où il soit pratiqué ; il le serait davantage s’il était regardé comme indispensable, et s’il n’augmentait pas beaucoup les frais déjà si considérables de la culture de la vigne. L’ébourgeonnage me parait sans utilité dans les vignes très-espacées, à moins qu’elles ne soient soumises à la culture à la charrue ; du reste, s’il est pratiqué sur les bords de la Marne, il ne l’est pas dans la Côte-d’Or et le Médoc : d’où l’on peut conclure qu’il n’est pas essentiel à la qualité du vin.

La rognure se fait aussi en même temps, c’est-à-dire qu’après avoir mis le second lien, on rogne les sarmens au-dessus de l’échalas Les vignerons experts le regardent plus comme une opération de propreté que de nécessité ; cependant elle sert aussi à donner un plus libre accès aux rayons directs du soleil, et par cela même en favorise la réflexion. Je suis obligé de confesser que je ne suis de l’avis, ni de M. Cavoleau sur les effets de la rognure de la vigne, malgré sa leçon sur le mouvement de la sève dans les plantes, empruntée du Traité de chimie de M. Thénard, ni de l’abbé Rosier qui prétend qu’elle épuise la vigne et nuit à la qualité du fruit, ni de M. Lenoir qui l’assimile au pincement[1] des jeunes pousses du pêcher, malgré l’énorme différence du mode de végétation de l’un et de l’autre, et lui attribue la faculté de forcer les yeux inférieurs à se former en yeux à fruits, sans être retenu par l’absurdité de celte assertion qui saute à l’esprit de tout vigneron, et que j’ai démontrée ailleurs : autant le pincement est ingénieux et d’un bon effet, mais a besoin d’être fait par une main habile, autant la rognure serait absurde pratiquée dans le même but ; et si elle est sans inconvénient, on conviendra du moins qu’elle n’exige pas, dans sa pratique, des mains dirigées par une haute intelligence, puisqu’elle est souvent abandonnée aux femmes. Je répète donc, non seulement d’après mon propre sentiment, mais aussi d’après celui de tous les vignerons que j’ai consultés, que cette opération est d’une bien légère importance, que si elle est générale dans les vignes échalassées, c’est que son utilité, si faible qu’elle soit, est secondée par la facilité et la prestesse de l’exécution.

La seconde façon ne devrait jamais commencer avant le mois de juin, et la dernière vers la mi-août ; mais, dans bien des localités, les vignerons se sont arrangés pour avoir

  1. Je pourrais citer, contradictoirement à l’opinion de M. Lenoir, l’exemple donné dans mon canton par un riche vigneron, qui, agissant comme aurait pu le faire un pur théoricien, un Parisien bien pénétré de la supériorité de la science sur l’expérience, s’était avisé de faire rogner tous les bourgeons de sa vigne, au lieu de les accoler, à deux yeux au-dessus de la grappe, et qui, pour être plus sûr que toute la sève, ne trouvant plus d’issue, refluerait sur les raisins, avait fait éborgner les deux seuls yeux qui se trouvaient au-dessus d’eux, en conservant les feuilles, toutefois, comme aurait pu le faire un maître passé en physiologie végétale. Cette intéressante expérience lui a coûté une quarantaine de pièces de vin, c’est-à-dire une centaine de louis.