Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, II.djvu/531

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le rut a commencé, il est plus convenable d’établir une séparation complète, de peur que les mâles excités par l’ardeur des brebis ne perdent en vaines tentatives une partie des forces qui vont leur être si nécessaires. La chaleur des brebis mérinos commence à se manifester pendant le mois de juillet ; dans le midi cette époque a été reconnue la plus favorable, et l’on n’a point cherché à la changer : dans le nord, au contraire, quelques éleveurs ont pensé qu’il était désavantageux que le part eût lieu pendant l’hiver ; ils ont pensé que les froids de cette saison seraient fâcheux pour les agneaux, et que les frais de nourriture seraient beaucoup trop considérables ; aussi ont-ils conseillé de retarder la monte de plusieurs mois. Voulez-vous, dit l’un d’entre eux, ne pas courir les risques que les rigueurs de l’hiver occasionnent ? Voulez-vous diminuer votre dépense en fourrages dans cette saison, entretenir vos brebis en bonne santé, et pouvoir les hiverner un peu durement sans danger ? Voulez-vous enfin épargner une infinité de soins à vos bergers, et obtenir un grand nombre d’agneaux beaux et forts, sans perdre et ruiner leurs mères ? n’accordez les brebis aux béliers qu’en novembre ou plutôt en octobre. Vos agneaux, qui tiendront au monde 5 mois après, ne naîtront qu’en mars, et vous jouirez de tous les avantages que j’ai mentionnés. Nous devons dire que ces raisons ne nous semblent pas suffisantes pour changer l’ordre naturel des choses et qu’il y a au contraire des motifs puissans pour établir la lutte aussitôt que le troupeau s’y trouve disposé. L’épargne des fourrages que l’on ferait, en hivernant durement les brebis portières, serait une économie bien mal placée et qui aurait pour suite certaine le dépérissement des mères et de leurs petits : non-seulement ou n’obtiendrait pas de beaux agneaux de ces brebis durement hivernées, mais encore on risquerait de n’en pas conserver beaucoup ; et ces bêtes chétives exigeraient des soins plus assidus et plus difficiles que n’en demandent les agneaux d’hiver dont les mères ont reçu une bonne nourriture pendant la gestation. Dans une ferme bien tenue (et ce n’est que dans une telle ferme que nous conseillerons l’éducation des mérinos) les portières ne manqueront jamais de nourriture en décembre, janvier, février ; ce sont les mois de grande abondance en racines de toute espèce si propres à augmenter le lait, en bons fourrages de regains si convenables aux agneaux : mais quand vient mars, les racines sont presque épuisées, elles germent ou pourrissent ; les regains se détériorent ; toutes les provisions diminuent à vue d’œil, quoique l’herbe ne pousse point encore dans les champs : que deviendraient les agneaux à ce moment s’ils n’avaient déjà pris des forces pour résister ? Citons encore l’opinion de Pictet qui appuyait son avis sur des expériences convaincantes : « Il arrive assez fréquemment, dit-il, que si l’on laisse passer les premières chaleurs, pour ne donner le bélier qu’à la seconde ou à la troisième fois que la brebis le demande, elle ne retient pas ou ne porte qu’un agneau faible. J’ai éprouvé d’une manière marquée l’avantage que conservent les animaux provenant des accouplemens qui ont eu lieu dans les premières chaleurs de la brebis, sur ceux provenant des accouplemens retardés ; non-seulement parmi les agneaux purs la différence a été très-marquée, mais les métis nés au commencement de décembre ont conservé un avantage étonnant sur les purs qui sont nés 1 ou 2 mois plus tard. » Les bergers les plus observateurs ont l’habitude de dire que les tordillons ne valent jamais rien, et ils attribuent leur infériorité constante 1° à ce qu’ils paissent de l’herbe qui n’est pas encore mûre avant que leur estomac ait été fortifié par l’âge ; 2° à ce que leurs organes ne peuvent résister aux chaleurs de l’été : quelle qu’en soit la cause, le fait est vrai. Préférer la monte précoce à la monte tardive, voilà notre seconde règle. Nous avons dit plus haut que l’on devait tenir les béliers séparés des brebis, pour éviter chez les premiers une excitation fatigante et nuisible ; ajoutons que celte séparation est en outre nécessaire afin de soumettre les béliers à un régime fortifiant et d’augmenter leur vigueur dans la solitude. Partout les éleveurs judicieux ont recommandé de donner aux béliers non-seulement pendant la monte, mais plusieurs semaines auparavant, une nourriture substantielle qui donne du ton à tous les organes sans charger l’estomac : des provendes de grain, de l’avoine, des pois, de l’orge cassée, du son gras, sont éminemment propres au but que l’on se propose. Il ne faut pas que l’animal devienne gras et s’allourdisse, mais il doit être en bonne chair afin de n’être point trop promptement épuisé par la rude besogne qu’il aura à remplir. Dès qu’il sera admis près des brebis, il ne pensera plus guère à manger ; tout son temps sera employé à des luttes violentes contre ses rivaux ou à des travaux plus fatigans encore, et les pertes continuelles de l’accouplement l’auraient bientôt réduit à une extrême faiblesse s’il n’avait fait d’avance une provision de force et de nourriture. Quant aux moyens employés pour exciter l’ardeur des mâles et des femelles, on doit les proscrire : l’usage du sel peut être seul conseillé, non pas comme excitant, mais comme moyen de prévenir les mauvaises digestions et la perte d’appétit que l’épuisement des béliers pourrait faire redouter. Ainsi préparés, les béliers peuvent être livrés à la lutte simultanément ou alternativement ; ce dernier mode semble plus convenable. Lorqu’on lance plusieurs mâles à la fois au milieu d’un troupeau de femelles, l’accouplement est à chaque instant interrompu par des combats souvent dangereux et certainement nuisibles ; les mâles ne prennent point un instant de repos ; ils s’affaiblissent et rendent moins de services réels qu’ils ne pourraient en rendre si l’accouplement faisait leur unique occupation. Pour éviter cet inconvénient, il est des fermiers qui tiennent leurs béliers entièrement éloignés des brebis pendant le jour et qui ne les mêlent au troupeau que pendant la nuit ; au milieu des ténèbres la lutte se poursuit paisiblement ; les mâles, ne se voyant pas l’un l’autre, ne sont point tourmentés par la jalousie, ne se poursuivent pas et s’abandonnent tout entiers à la reproduction ; mais la journée se trouve ainsi perdue pour les brebis, la