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chap. 3e
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DE LA BETTERAVE.


gent des travaux et des produits ; cette appréciation offre tant de variations en raison des localités, que ce travail ne saurait être consulté qu’à titre de renseignemens ; en effet, tandis que les calculs de M. de Dombasle que nous allons citer, font ressortir le prix de revient des 1000 kilos à 16 fr. 21 cent., et que souvent les fabricans ne les trouvent pas trop chèrement payés à 20 ou 24 fr., il est des contrées où les cultivateurs ne vendent la récolte de l’hectare (graine fournie par le manufacturier) que 100 à 120 francs.

Frais de culture d’un hectare de betteraves, semées en place, d’après M. de Dombasle.
Loyer de la terre 
60 »
Frais généraux de la ferme, comprenant intérêt du capital d’exploitation, entretien des instrumens, dépenses de ménage, etc., évalués par hectare, à 
60 »
Deux labours à 15 fr. (le deuxième pourra souvent être remplacé par une culture à l’extirpateur) 
30 »
Deux hersages, à 3 fr. 
6 »
Fumier : vingt-cinq voitures de 6 à 700 kilos, à 5 fr. font 125 fr., dont moitié à la charge de la récolte de betteraves 
62 50
Semence, 5 kilos à 2 fr. 
10 »
Rayonnage et semaille au semoir 
3 »
Premier sarclage à la main, 30 journées de femme à 75 cent. 
22 50
Deuxième sarclage et éclaircissement de plants, 20 journées de femme 
15 »
2 binages à la houe à cheval 
4 »
Arrachage, décollage et nettoyage des racines, savoir : une journée de 3 chevaux à 2 f. par tête. 
 6f. »c.
2 hommes pour la charrue à arracher 
 4   »  
35 journées de femme pour le nettoyage 
 24  25  
34 25
Transport des racines à la ferme, 3 voitures à un cheval, employées pendant une journée, pour la conduite de 20,000 kilos 
9 »
Chargement, déchargement et emmagasinage des racines, 8 journées d’homme à 1 fr. 
8 »
————
324 25

Produits : Dans un sol où le froment donne en moyenne 15 hectolitres par hectare, on doit obtenir un produit moyen de 20,000 kilos de betteraves, ce qui en établit le prix à 16 fr. 21 c. les 1000 kilos. Dans les terrains assez fertiles pour rendre en moyenne 22 hectolitres de froment, on obtiendra, avec peu de frais supplémentaires , un produit de 50,000 kilos.

Quant à la valeur nutritive des betteraves pour l’alimentation des bestiaux, le même savant agronome a trouvé, par des expériences très-précises, que 100 kilos de betteraves nourrissent autant que 45 kilog. 4 de bon foin ; l’hectare de terrain médiocre produisant au moins 20,000 kilos de racines, donne donc un équivalent de 9,000 kilos (18 milliers) de bon foin, c’est-à-dire le double environ de ce qu’on obtient dans d’excellentes prairies. Et, quant au prix, on voit, d’après les calculs ci-dessus, que, les 1000 kilos de betteraves ne revenant qu’à 16 fr. environ, les 1000 kilos de foin équivalens ne devraient coûter que 36 f. environ, prix qui est ordinairement double.

Si la culture de la betterave n’offre que des pratiques fort simples et généralement connues, il n’en est pas de même de l’extraction du sucre, qui exige des connaissances chimiques, de l’intelligence et de l’habileté, et enfin des capitaux assez considérables ; par conséquent, elle n’est pas à la portée de tous les cultivateurs, mais elle offre aux riches propriétaires un emploi doublement avantageux de leurs capitaux, qui viennent ainsi enrichir et augmenter la valeur des fonds de terre, et introduire dans les assolemens d’immenses améliorations.

Les avantages de la culture de la betterave ne se répartiront sur tous les cultivateurs que quand les fabriques de sucre, au lieu d’être une propriété particulière, seront en quelque sorte un établissement banal créé pour le service d’un certain nombre d’habitans dix même canton. En effet, dans l’état actuel des choses, la création d’une fabrique de sucre de betterave exige une mise de fonds considérable, et, tandis que le propriétaire de cette fabrique, à moins qu’il n’exploite par lui-même une immense étendue de terrain, est sous la dépendance des cultivateurs voisins qui peuvent s’entendre pour lui fournir les racines à un prix exorbitant, ceux-ci sont eux-mêmes aussi dans sa dépendance, puisqu’ils ne peuvent vendre leurs betteraves qu’à lui seul, d’où il résulte qu’il y a réciproquement incertitude dans les placemens. — D’une autre part, il est difficile qu’un grand établissement ait une quantité suffisante de bestiaux pour consommer les résidus des betteraves, et il en résulte qu’on est obligé de les donner à vil prix ou de les laisser perdre. — Ces considérations ont engagé la Société d’encouragement pour l’industrie nationale à proposer un prix de 4,000 fr. en faveur de l’Association agricole formée pour l’exploitation d’une fabrique de sucre de betterave, dont le but principal serait de concourir à l’amélioration de la culture de chaque membre de l’association, en lui fournissant les moyens de nourrir régulièrement un plus grand nombre de bestiaux, et de participer aux avantages de la culture de la betterave et de l’extraction de son sucre, que des moyens bornés ne permettraient pas d’entreprendre individuellement. Ce prix a été remporté par l’association de 15 propriétaires, formée à Saint-Clair (Isère), qui a été aussitôt imitée dans le même département et dans celui de la Drôme par plusieurs établissemens semblables. Faisons des vœux ardens pour voir se répandre une branche d’industrie agricole très-productive, et un mode d’exploitation qui fera participer à ses avantages l’universalité des propriétaires et des fermiers, enfin qui étendra l’esprit d’association qui a tant de peine à s’implanter dans le sol français, et qui y exercerait une si heureuse influence !

C. Bailly de Merlieux.