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liv. ii.
CULTURES INDUSTRIELLES : DES PLANTES ECONOMIQUES.


Section ii. — De la Chicorée.

La Chicorée sauvage (Cichorium intybus. Lin.; en anglais, Chiccory ; en italien, Cicorea ou Radicchio selvaggio) est une plante vivace et laiteuse de la classe des Synanthérées, Rich, et de la famille des Chicoracées, Cass. Elle croit dans toute l’Europe, le long des chemins et aux lieux peu ou point cultivés. Sa racine est fort longue, simple, pivotante, assez charnue ; la première année, elle ne pousse que des feuilles dites radicales, nombreuses, longues de 6 à 18 pouces, larges de 2 à 4 pouces dans la partie supérieure, plus étroites et roncinées dans le bas, et plus ou moins dentées dans toute leur longueur. Vers le milieu du printemps de la seconde année, il s’élève du centre de ces feuilles une tige cannelée, haute de 3 à 6 pieds, munie de feuilles plus petites que les radicales, rameuse dans la partie supérieure, et portant aux aisselles des petites feuilles raméales des fleurs agglomérées, larges de 15 lignes, le plus souvent d’un bleu d’azur, ou presque blanches dans une variété. Ces fleurs s’épanouissent successivement pendant longtemps chaque malin, et se referment avant midi pour ne plus s’ouvrir. Il leur succède des graines oblongues, anguleuses, surmontées d’une petite couronne scarieuse dentée, et contenues au nombre de 15 à 18 dans un calice commun, duquel il est assez difficile de les extraire.— Depuis bien longtemps la racine et les feuilles de la chicorée sont employées en médecine, comme toniques et dépuratives, pour rétablir l’appétit, etc., etc. — Depuis long temps aussi on la cultive dans les jardins, pour en manger les feuilles en salade lorsqu’elles sont encore jeunes et tendres, sous le nom de petite chicorée, ou, sous celui de barbe de capucin, lorsqu’après avoir arraché des racines et les avoir transplantées dans une cave, les feuilles qu’elles y poussent restent blanches, étiolées et tendres. Nous renvoyons aux livres de jardinage pour la manière de cultiver la chicorée sauvage dans les jardins, afin de ne pas trop alonger cet article, et passons tout de suite à la grande culture.

Culture de la chicorée sauvage comme plante fourragère. On doit à Cretté de Palluel l’introduction de la culture en grand de la chicorée sauvage aux environs de Paris. Il la semait au printemps à la volée avec de l’avoine, sur deux labours en terre forte et sur un seul labour en terre légère. On dit que les Anglais la sèment en rayons pour pouvoir la sarcler, mais nous croyons qu’il vaut mieux la semer à la volée, et de manière à ce que les pieds se trouvent à 2 ou 3 pouces les uns des autres, afin que les feuilles couvrent promptement toute la terre, et s’opposent à la croissance des mauvaises herbes ; il en résulte aussi que toutes les feuilles se soutiennent droites mutuellement, et qu’il est plus aisé de les faucher. Les semis d’automne réussissent très-bien, mais une partie des pieds tend à monter en graines le printemps suivant, avant que les racines aient pris une grande dimension, et la récolte des feuilles est moins considérable. Il vaut donc toujours mieux semer au printemps, parce qu’on pourra faire deux ou trois récoltes de feuilles depuis la mi-juillet jusqu’à l’hiver, et quatre ou cinq récoltes l’année suivante.

La racine de la chicorée sauvage étant très-simple, et plongeant perpendiculairement à la profondeur de 15 à 18 pouces, il lui faut une terre qui ait du fond, de la fraîcheur même, quoique cette plante ne soit pas difficile sur la qualité de la terre, et que sa racine pivotante la mette à l’abri des grandes sécheresses. Sa graine étant assez fine, elle doit être peu enterrée ; à cet effet on doit, quand la terre est labourée à la charrue, y passer un coup de herse en travers pour combler en partie les sillons, semer ensuite la graine et la recouvrir avec la herse.

C’est principalement pour les vaches, et comme fourrage destiné à être mangé en vert que l’on cultive la chicorée sauvage. Son usage comme nourriture ne doit être même ni abondant ni continué sans interruption ; car, dit M. Tessier, les animaux qui mangent cette plante prennent en même temps une nourriture et un médicament. Il a été expérimenté que des vaches qui avaient eu de la chicorée sauvage pour seule nourriture pendant quelque temps, ne donnaient plus qu’un mauvais lait et des fromages amers. On ne devra donc semer, sur une ferme, que d’un à trois arpens de chicorée sauvage, en stratifier les feuilles par couches minces avec de la paille de blé ou d’avoine destinée à la nourriture des bestiaux. — La chicorée ne montant pas en graines la première année, on la fauche au fur et à mesure qu’on en a besoin, avec la précaution toutefois de ne pas laisser durcir les feuilles et de les couper quand il ne pleut pas, car elles ont de grandes dispositions à pourrir, et ne peuvent se faner comme d’autres fourrages. — Pendant la seconde et la troisième année, il faudra faucher la chicorée dès que ses tiges seront de la longueur des feuilles, afin que rien ne durcisse et que la plante repousse un plus grand nombre de feuilles. En conséquence, il faudra faucher aussi la partie du champ dont on n’aurait pas besoin pour le moment, dans la crainte de la voir se dégarnir de ses feuilles. Après trois années de récolte, on ménage un petit coin du champ pour obtenir de la graine, et on laboure le reste à la charrue pour ramener les racines de chicorée à la surface, les enlever et les faire cuire pour les cochons.

De la chicorée à café (fig. 30). Celle-ci est une variété de la précédente, plus grande dans toutes ses parties, assez facile à reconnaître, cultivée en Allemagne et dans le nord de la France pour ses racines, lesquelles, après avoir été séchées et torréfiées, sont réduites en une poudre qui remplace celle du café, ou du moins est mêlée avec elle chez les pauvres gens et chez ceux dont le goût n’est pas difficile. C’est pendant le blocus continental, sous l’empire, que la nécessité occasionée par le haut prix des denrées coloniales, a fait recourir aux moyens de suppléer au véritable calé par la poudre de cette chicorée, après qu’on eut essayé avec moins de succès les graines de lupin, des