— On trait les animaux matin et soir. On mêle
les 2 traites, on coule le lait à travers une
étamine ; ce lait est reçu dans un chaudron
de cuivre étamé, où on le fait quelquefois
chauffer pour l’empêcher de s’aigrir ou pour
enlever un peu de crême, afin que le fromage ne soit pas trop gras ; on ajoute ensuite
la présure, on remue avec une écumoire et
on laisse reposer. Lorsque le caillé est formé,
une femme le brasse fortement, le pétrit et
l’exprime avec force ; il en résulte une pâte
qu’on laisse reposer, qui se précipite et occupe
le fond du chaudron. On incline le
vase pour décanter le petit-lait qui surnage,
on met ensuite le fromage dans les formes
ou éclisses dont le fond est percé de petits
trous, en ayant l’attention de pétrir et comprimer
le caillé à mesure qu’on en remplit
le moule ; on le laisse égoutter en le chargeant
d’un poids pour mieux extraire le petit-lait.
Le fromage ne reste pas au-delà de
12 heures dans la forme, pendant lesquelles
il est retourné plusieurs fois. Dès qu’il paraît
débarrassé de tout le petit-lait, on le
porte au séchoir. Là les fromages sont posés
sur des planches les uns à côté des autres,
sans se toucher, et retournés de temps à
autre pour qu’ils se dessèchent mieux, plus
promptement et sans s’échauffer. Comme ils
sont sujets à se fendre, il faut les envelopper
d’une sangle de grosse toile, qu’on change
toutes les fois qu’on le juge convenable. La
dessiccation ne dure pas plus de 15 à 20 jours,
surtout si on a soin, quand on les change,
de les replacer sur une planche propre et
bien sèche.
Chaptal observe avec raison que les procédés de la fabrication du Roquefort pourraient être améliorés ; ceux que l’on suit pour la préparation des fromages anglais nous paraissent en grande partie applicables à la fabrication de cette espèce de fromage. Une présure d’une force plus constante, une meilleure méthode pour diviser ou rompre le caillé, une forme de moules mieux appropriée, et dans le genre de ceux du Gloucester ou de Hollande (fig. 43 et 44), une pression plus convenable au moyen de presses qui en exprimeraient tout le petit-lait, l’emploi des toiles à fromages, telles sont les améliorations qu’on pourrait introduire dans cette fabrication importante. Il faudrait aussi adopter une méthode plus uniforme afin d’avoir moins de diversité dans la qualité de ces fromages, qui offriraient, d’ailleurs, moins de déchets dans le travail des caves.
Ces fromages se fabriquent dans un rayon de 7 à 8 lieues autour de Roquefort, et la plus grande fabrication a lieu depuis le mois de mai jusqu’à la fin de septembre. Les propriétaires des caves les achètent en toutes saisons, et arrivés aux entrepôts de Roquefort, les fromages sont triés suivant leurs qualités, qui sont appréciées par des experts qui n’ont d’autre guide qu’une grande habitude. — Le poids est ordinairement de 3 à 4 kilog. (6 à 8 liv.). On les paie aux fermiers en gros, au prix de 40 à 42 fr. le quintal. Le lait de brebis donne 20 pour 100 de fromage en poids, à l’état brut. Le déchet dans les caves est à peu près d’un quart.
Les caves de Roquefort sont adossées contre un rocher calcaire qui entoure le village ; quelques-unes sont même placées dans les crevasses ou grottes qui y sont naturellement ou artificiellement pratiquées ; un simple mur du côté de la rue est souvent tout ce que l’art a dû faire pour clore ces caves. Leur grandeur n’est pas énorme ; il en est même de très-petites. On aperçoit dans toutes des fentes dans le rocher, par où s’introduit un courant d’air frais qui détermine le froid glacial qu’on y éprouve, et qui fait tout leur mérite ; car il n’y a de bonnes caves que celles dans lesquelles ces courans sont établis. Ces courans se dirigent du sud au nord. Il y a un petit nombre de caves qui reçoivent des courans de l’est ; mais les meilleurs sont ceux du sud. Plus l’air extérieur est chaud, plus ces courans sont froids et forts, et ils sont toujours assez sensibles pour éteindre une bougie qu’on présente à l’ouverture. L’air introduit par ces crevasses du rocher s’échappe par la porte des caves, et y forme un courant continuel. Le froid qu’il produit est tel, que Chaptal a observé qu’au 21 août 1787 un thermomètre marquant à l’ombre et en plein air 23° R., était descendu à 4° au-dessus de zéro après un quart-d’heure d’exposition dans le voisinage d’un courant rapide. La température de ces caves varie selon leur exposition, la chaleur extérieure ou le vent qui souffle. Le vent du sud semble accroître leur fraîcheur. Ces caves, plus ou moins petites et étroites, sont à plusieurs étages ; elles sont divisées de bas en haut par des planches étagères qui sont destinées à recevoir les fromages.
Aussitôt que les fromages sont arrivés dans les caves, on procède à la salaison. Cette opération consiste à jeter une petite pincée de sel sur les fromages, qui sont placés les uns sur les autres par piles de 5 ; on les laisse ainsi 36 heures, au bout desquelles on les frotte bien tout autour pour imprégner de sel toute la circonférence ; on les réentasse jusqu’au lendemain, où on les sale de nouveau ; le jour suivant on les frotte encore, et on les remet en piles pendant 3 jours. Après ce temps, ils sont portés dans les entrepôts, où on les râcle et on les pèle. La râclure se vend, sous le nom de rhubarbe, à raison de 15 à 20 francs les 50 kil. On en obtient 7 à 8 p. 0/0 du poids du fromage. Les fromages ainsi râclés sont rapportés dans la cave, où ils restent empilés pendant 15 jours, au bout desquels ils sont posés de champ sur les tablettes, sans se toucher. Quinze autres jours après, ils jettent un duvet blanc qu’on râcle ; remis sur les tablettes, ils se duvettent de nouveau de bleu et de blanc, qu’on enlève en les râclant. Après 15 autres jours ils se couvrent d’un duvet rouge et blanc. Le fromage est fait dès ce moment, mais on a soin de le râcler de 15 jours en 15 jours jusqu’à la vente. On juge de la qualité du fromage par la sonde. Le fromage de 1re qualité offre une pâte douce, fine, blanche, agréable au goût, légèrement piquante et marbrée de bleu. Apres 4 mois de cave et un déchet d’un cinquième au moins, le fromage se vend de 60 à 70 francs le quintal ; il a coûté environ 40 fr. pris chez le fermier. Les bénéfices seraient très-considerables s’ils n’étaient diminués