Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, I.djvu/388

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blés deux espèces botaniques ; ses successeurs ne les ont pas admises, et, comme botanistes, ils ont eu raison. Mais les agronomes, beaucoup d’entre eux du moins, ont eu tort d’abonder tellement dans ce sens qu’ils aient presque regardé comme une hérésie de faire mention de blés de mars et de blés d’automne comme de choses distinctes. Bien que ce ne soient, à la vérité, que des qualités acquises, qu’une habitude de tempérament résultant d’une longue succession de semis dans une saison donnée, il est certain, cependant, que cette qualité est fort importante à considérer pour le cultivateur. Plusieurs écrivains ont avancé que l’on pouvait faire à volonté, en 3 ou 4 ans, un blé de mars d’un blé d’automne, et réciproquement. Cette assertion nous paraît très-hasardée ; il est peu probable que l’on puisse faire ou défaire en 3 ou 4 ans ce qui, dans nos espèces acquises, est le résultat de la continuité d’une même influence pendant des siècles. D’un autre côté, le peu de faits que nous connaissons est, en général, contraire à cette opinion. Nous pensons, enfin, qu’elle peut être récusée par cela seul qu’elle est généralisée ; il est possible, en effet, qu’à l’épreuve, cette proposition se trouvât vérifiée pour une variété de froment, et qu’elle fût démentie pour dix autres. Les agriculteurs doivent donc se garder de ces raisonnemens théoriques qui tendent à leur persuader que du blé d’automne et du blé de mars sont à très-peu près la même chose ; s’ils ont à semer du froment au printemps, qu’ils prennent un vrai blé de mars, et qu’ils choisissent plus soigneusement encore un vrai blé d’hiver, s’ils sèment en automne. Mais tout en nous faisant ici les avocats de la routine contre la fausse science, nous sommes très-loin de rejeter des essais et des tentatives ayant pour but d’éclairer ces questions et d’augmenter l’utilité des variétés. Voici même un sujet de recherches que nous proposerons. Rien ne serait, selon nous, plus important que d’arriver à trouver un froment qui pût servir également pour les deux saisons, qui fût à la fois très-rustique comme blé d’hiver, et assez hâtif pour que, semé en mars et même en avril, il parvint constamment, et dans le temps ordinaire des moissons, à sa maturité complète. On conçoit l’avantage qu’offrirait un pareil blé pour réparer les désastres d’un hiver rigoureux, ou les destructions locales causées par les inondations, par les mulots, les insectes, etc. En pareils cas, on a vu les fermiers manquer de blés de mars pour les réensemencemens, et être obligés de remplacer par de l’orge et de l’avoine leurs fromens détruits. Ici, les blés d’automne offriraient une ressource immédiate. Ce problème est probablement très-difficile à résoudre, attendu qu’il ne suffirait pas de la double condition énoncée plus haut, mais qu’il faudrait encore que ce fût un blé productif et de bonne qualité. Malgré la difficulté, nous ne croyons pas la chose impossible : la nature est si libérale en variétés et en combinaisons de qualités ! Nous proposons cette tâche à des agriculteurs à la fois jeunes, éclairés et persevérans ; il s’en élève heureusement aujourd’hui de tels en France. Un de leurs devanciers dans la carrière, un des meilleurs cultivateurs que nous possédions, M. Bourgeois, de Rambouillet, l’a déjà essayé sur le blé lammas sans un succès décisif ; semé en mars, le grain n’était pas toujours assez nourri ou assez complètement mûr pour faire un bon blé marchand, et cette condition est de rigueur : à défaut du lammas, un autre froment d’automne la réalisera peut-être. Nous avons indiqué par des marques ††, dans l’énumération qui précède, quelques variétés réputées ou soupçonnées être des deux saisons ; on pourrait commencer par celles-là sans renoncer à en essayer d’autres. Enfin, on a la ressource des variations naturelles et spontanées : en s’attachant à rechercher dans un bon froment d’automne, sur pied, des épis qui, sans altération accidentelle, fussent d’une maturité beaucoup plus précoce que le reste du champ, on parviendrait peut-être, ainsi, à créer ou trouver une variété qui satisfit aux conditions énoncées. C’est une œuvre de patience que nous proposons ; mais on a bien vu des hommes employer leur vie à étudier et créer des variétés de jacinthe ou de tulipes ; pourquoi n’en verrait-on pas qui destineraient quelques semaines par année à étudier et créer des variétés de froment ?

§ ii. — Choix du terrain.

Les sols qui ont été désignés dans la seconde section du chapitre ii de ce livre, sous le nom général d’argilo-sableux, sont ceux qui conviennent le mieux au froment ; mais ils ne sont pas les seuls dans lesquels cette précieuse graminée puisse donner de bons produits. Chaque jour, grâce à l’emploi plus abondant et mieux raisonné des engrais et des amendemens, on s’aperçoit qu’il est possible d’étendre profitablement sa culture à des terrains qui n’en avaient point encore porté. — On doit regarder son apparition sur beaucoup de points de la France comme une preuve évidente des progrès agricoles. Avec une préparation convenable, les terres fortes peuvent donner de beaux fromens. Toutefois les terres franches leur sont préférables, non seulement parce qu’il est plus facile de les travailler, mais encore parce qu’elles réunissent au plus haut degré les propriétés physiques les plus favorables, c’est-à-dire une consistance moyenne et une aptitude convenable à retenir l’humidité pluviale, tout en se pénétrant suffisamment de la chaleur solaire.

Le sol, les engrais et les amendemens apportent une grande différence, non seulement dans la quantité des produits du froment, mais dans les proportions relatives de ces produits, pailles et grains, et même dans celles des parties constituantes du grain, considéré chimiquement. — Si le choix des fumiers peut ajouter, aussi sensiblement qu’on l’a répété, à la quantité de gluten, il est certain que la nature du terrain influe beaucoup sur celle de la farine et du son. — Un champ humide produit des grains à écorce épaisse ; — un champ plus accessible à la chaleur donne une paille sensiblement moins longue, mais des grains mieux nourris en farine et par conséquent de plus de valeur, puisque le volume du son est toujours en raison inverse du poids total.