Page:Maistre - Du pape suivi de l'Église gallicane, Goemaere, 1852.djvu/110

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Dieu, en vertu de sa toute-puissance, a droit de punir quand même il n’y a point de crime[1]. »

C’est précisément la doctrine des jansénistes. Ils soutiennent que l’homme pour être coupable n’a pas besoin de cette liberté qui est opposée à la nécessité, mais seulement de celle qui est opposée à la coaction, de manière que tout homme qui agit volontairement est libre, et par conséquent coupable s’il agit mal, quand même il agit nécessairement (c’est la proposition de Jansénius).

« Nous croyons toujours qu’il dépend de nous de faire ceci ou cela. Ne faisant point ce qu’on ne fait pas, on croit cependant qu’on l’aurait pu faire. Mais dans le fait il ne peut y avoir de liberté qui exclue la nécessité ; car, s’il y a un agent, il faut qu’il opère, et s’il opère, rien ne manque de ce qui est nécessaire pour produire l’action ; conséquemment, la cause de l’action est suffisante ; si elle est suffisante, elle est nécessaire (ce qui ne l’empêche point d’être volontaire). Si c’est là ce qu’on appelle libre arbitre, il n’y a plus de contestation. Le système contraire détruit les décrets et la prescience de Dieu, ce qui est un grand inconvénient[2]. Il suppose en effet ou que Dieu pourrait ne pas prévoir un événement et ne pas le décréter, ou le prévoir sans qu’il arrive, ou décréter ce qui n’arrivera pas[3]. »

  1. L’esprit se révolte d’abord contre cette infamie ; mais pourquoi donc ? C’est le pur jansénisme ; c’est la doctrine des disciples cachés de S. Paul et de S. Augustin ; c’est la profession de Port-Royal, l’asile des vertus et des talents ; c’est ce que Mme de Sévigné vient de nous dire identiquement, quoique en termes un peu différents : En Dieu il n’y a point d’autre justice que sa volonté.
  2. Excellent scrupule ! Hobbes a peur de manquer de respect à la prescience divine en supposant que tout n’est pas nécessaire. C’est ainsi que Locke, comme nous l’avons vu plus haut, eut peur depuis de borner la puissance divine en loi contestant le pouvoir de faire penser la matière. Comme ses consciences philosophiques sont délicates !
  3. Le morceau guillemeté est composé de phrases de Hobbes (Tripos, ibid., page 316 et 317) et de Mme de Sévigné (supra, page 97) parlant à l’oreille d’une autre elle-même, comme pensaient ses amis et comme ils parlaient lorsqu’ils ne mentaient pas. En voyant à quel point ces pensées parties de deux plumes différentes, s’accordent cependant et comment elles se fondent ensemble au foyer de Port-Royal, on s’écrie :

    Quam bene conveniunt et in unâ sede morantur !