Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/114

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Je passai, en effet, d’une rive à l’autre avec de l’eau à peine jusqu’au bas-ventre. Je ne m’étais même pas déshabillé : à quoi bon ! Le soleil des tropiques ne chauffe pas pour des prunes.

Georges Wright avait tout l’aspect d’un vénérable patriarche doublé d’un marchand de cochons et telle était aussi son occupation lucrative. Je ne réussis pas à lui faire comprendre la justesse des réclamations administratives, mais je lui achetai une petite truie, charmante et mignonne bête, sevrée depuis peu du sein maternel, et qui me regardait avec des yeux langoureux.

Je n’ai jamais eu la passion propriétaire bien enracinée, mais il me semble que le prurit de la possession est bien plus avivé, bien plus triomphant lorsque cette possession s’étend à des objets non plus inertes, mais vous connaissant, vous comprenant, sensibles à vos caresses ou à vos rudoiements. Le potentat, le patron, le mari ne se sentent-ils pas délicieusement chatouillés dans leur orgueil de posséder des êtres vivants, capables d’aimer et de souffrir, devenus leur chose ?

Je ne me faisais pas alors toutes ces réflexions philosophiques à propos d’un cochon, d’un poôca, disent les Canaques qui ont adouci le mot porc, en lui ajoutant la voyelle a et en retranchant l’r. Je déambulais vers la rivière, après avoir annoncé à Wright que j’enverrais mon planton prendre livraison de la bête. Je me mis dans l’eau sans plus me déshabiller qu’à l’aller.

Ô étourderie de la jeunesse ? toi qui incitas Cham à manquer de respect au derrière paternel et Pâris à faire cocu Ménélas, tu faillis me coûter la vie. Je n’avais pris garde, deux heures auparavant en traversant la Boima, que la marée qui se fait sentir dans toutes les