Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/118

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sans atteindre le développement palmipède des Andamènes, ont cependant le pied assez sûr pour s’aventurer sur des fondrières où s’engloutiraient des Européens. La jeune enfant, qui me sembla, à ce moment, la plus charmante apparition, était attirée de mon côté par la recherche des crabes de marais. Moins farouche que d’autres picaninis, elle vint à moi sans se faire prier et me servit de guide pour trouver une mince lisière de terre ferme parallèle à la Boima. Au bout de quelques minutes, j’avais perdu de vue ce lieu maudit.

Mais dans quel état me trouvais-je ! Un égoutier, un vidangeur en pleine activité de travail eussent eu honte de fraterniser avec moi. Aussi, tenant toujours à la main mes deux souliers remplis de vase, je me précipitais tel quel dans la rivière, ce qui délaya un peu ma boue. Je rentrai chez moi dans un état de saleté indescriptible.

Ces excursions accidentées m’aidaient à passer le temps. Sans elles et la lecture de mon vieil Horace, que j’avais eu soin d’emporter, l’affectionnant tout particulièrement, je serais mort d’ennui ou aurais fini par me laisser aller à l’abrutissement du milieu. J’avais, il est vrai, quelques conversations philosophico-familières avec les forçats, et surtout avec l’un d’eux, Bonsens, un fort honnête homme, envoyé aux galères par une payse qui l’avait faussement accusé de viol. Ce pauvre diable, dont l’innocence n’était mise en doute par personne, n’en demeurait pas moins pour la vie au ban de cette société qui s’agenouille en prostituée devant les malfaiteurs de haute marque. Il avait cependant gagné la sympathie des deux surveillants militaires qui, l’employant comme boulanger, lui faisaient une vie tolérable. Les Canaques