Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/122

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il brûle d’avance les petites herbes voisines, et, lorsque la grande vague rouge arrive, elle ne trouve plus qu’un sol dénudé sur lequel elle ne peut mordre.

Tout ceci est fort curieux, fort pittoresque : cependant, les colons, gens pratiques ou du moins avides, s’indignaient de voir les primitifs gâcher un terrain qui eût suffi à un nombre cinquante fois plus grand d’agriculteurs européens. Ce à quoi, les tribus répondaient que le sol leur appartenant, elles étaient libres de le cultiver à leur guise et même de le laisser en friche. Si on eût écouté les colons, on aurait d’un trait de plume décrété l’expropriation totale des indigènes, mais cette mesure parut excessive et on s’en tint à une cote mal taillée.

La politique des missionnaires apparut alors, comme chaque fois, fort habile. Il est indéniable qu’après avoir abruti les indigènes, les bons pères les ont souvent préservés contre l’envahissement des civilisés : ceux-ci, même les plus grossiers, n’apportaient-ils pas avec eux quelques bribes d’incrédulité ? — on n’est pas pour rien les petits-fils de Voltaire ! — ne contaminaient-ils pas le troupeau naïf des ouailles ? En s’intitulant les protecteurs des natifs, les maristes acquéraient des droits à leur reconnaissance et, dans les conflits à venir avec les colons, pouvaient jouer le rôle de médiateurs, qui leur a toujours réussi. En outre, si l’immense majorité des immigrants volontaires, par platitude et crainte du gourdin administratif, se montraient catholiques fervents, il était à prévoir qu’il n’en serait pas toujours ainsi, qu’à cet élément servile et abrupt, succéderait un autre plus indépendant, plus éclairé et, contre celui-là, la multitude noire, le jour où elle serait convertie, pourrait constituer une force de réaction toute entre les mains du