Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/132

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inutilement à eux. Établis à Oubatche depuis quinze années, dans une luxueuse maison à perron et à tourelle, rappelant quelque peu le manoir écossais, ils avaient possédé autrefois une fortune dont ils conservaient encore les bribes. Le père, âgé de cinquante-huit ans, à tête et barbe blanches, mais encore plein de force, présentait l’aspect vénérable d’un patriarche ; sa femme, de dix ans moins âgée, avait dû être fort belle. Auprès d’eux, se trouvait la dernière de leurs douze enfants, Lily, âgée de cinq ans, qui eût été charmante si ses parents s’étaient occupés davantage de son éducation, mais la mignonnette vaguait du matin au soir, pieds nus, dans les marais, dans les ruisseaux, sur la montagne, en compagnie d’une ribambelle de popinés et de picaninis. À la couleur près, c’était une jolie petite sauvagesse.

Un terrain immense leur appartenait, concédé par l’administration mais contesté par les indigènes qui, peu à peu, étaient revenus s’y établir. Du reste, ils ne cultivaient pas, se contentant de fournir les vivres du poste, pour lequel, tous les jours, ils tuaient un cochon ou rarement un mouton. Leurs gros bestiaux, au nombre d’une centaine, erraient en liberté dans la brousse, sans que les propriétaires eussent l’idée d’utiliser le lait des vaches pour la fabrication de beurre ou de fromages. Les pauvres bêtes, souffrant de leurs pis gonflés, attendaient inutilement qu’une main secourable vînt les traire. Des flots de lait se perdaient ainsi : le peu qu’on se donnât la peine de recueillir, était envoyé gracieusement chaque jour au chef du poste, au gérant du télégraphe et aux sous-officiers. Une fois tous les six mois, c’est-à-dire lorsqu’un bâtiment de l’État passait pour relever