Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/160

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pour en faire une phrase, répètent assez bien, sans les comprendre les cantiques qui leur sont entrés dans la tête, grâce à la musique.

Mon impression fut bizarre et, je l’avoue, aucunement désagréable lorsque l’assistance noire se mit à entonner le fameux : « Minuit, chrétiens ! c’est l’heure solennelle… » Les voix étaient justes, celles des femmes sopranisant, celles des hommes profondes et fortes, se mariant d’une façon qui faisait honneur aux enseignements du père Villars. Les paroles n’étaient pas toujours distinctement articulées, les u se convertissaient fréquemment en ou et les r en l, mais l’ensemble demeurait harmonieux. La musique a toujours été une des attractions offertes par l’Église aux sensitifs et le cantique qui salue la venue du rédempteur est fort beau : je ne regrettai pas d’avoir, pour la première fois depuis longtemps, remis les pieds dans un sanctuaire. Inutile de dire qu’au moment de la communion, les Canaques se précipitèrent vers la sainte table avec l’avidité d’anthropophages qui n’ont pas mangé depuis quinze jours. Les laissant aux délices de ce festin eucharistique, j’allai réveillonner d’une façon plus substantielle.

On manquait terriblement de lecture à Oubatche. Jadis, possesseurs d’une superbe bibliothèque, il ne nous restait plus que quelques épaves : l’histoire de la révolution de Louis Blanc, dont les gravures faisaient l’admiration des Canaques, mon vieil Horace que je ressassais et ne lâchais pas, un volumineux traité de physique et deux ou trois romans. Il est vrai que, faute de journaux, les individus se faisaient eux-mêmes feuilles publiques. Madame Coste, brave femme, certainement peu faite pour la solitude, était surnommée jusqu’aux