Page:Malato - La Grande Grève.djvu/241

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

même de se retrouver à Véran, dans sa ferme, loin des corvées de la caserne, pouvant se remettre aux travaux de la terre qu’il aimait. Sa mère, heureuse, lui avait fait fête, cessant d’être pour un moment la créature muette et passive qu’on la voyait toujours. Tout en l’accablant de questions qui se pressaient comme si une digue eût été ouverte, elle avait placé devant lui, sur la table, un morceau de lard froid et une bouteille de vin, pendant que la Martine préparait une omelette.

En mangeant et buvant, Jean considérait cette ferme où il avait grandi : les murs blanchis à la chaux, la cour où picoraient les poules, se dandinaient les canards et gloussaient les oies, le grand tas de fumier amoncelé dans un coin. Son instinct paysan revenant, il dit :

— Pourquoi n’a-t-on pas étendu ce fumier dans le champ ?

Puis il considéra son père, toujours solide, l’œil souriant dans sa face rougeaude ; sa mère, bien vieillie, et alternativement les deux servantes.

De la Martine, qui allait et venait, le regardant en dessous, il dit presque à haute voix :

— Celle-ci est laide !

La servante entendit-elle ce jugement ? En tout cas, elle le devina au regard dédaigneux du jeune homme et, bien qu’elle ne se fît que peu d’illusions sur ses charmes physiques, elle en ressentit du dépit. L’instant d’après, ce dépit devint une sourde colère lorsqu’elle entendit le fils Mayré murmurer en regardant Céleste :

— Eh mais, elle n’est pas mal du tout, celle-là. Dites donc, mère, depuis combien de temps l’avez-vous ici ?

Céleste, cependant, loin de chercher à attirer les regards du fils Mayré, s’était effacée autant que possible, se sentant mal à l’aise sous les yeux de ce grand garçon qui la dévisageait hardiment.