Page:Malato - La Grande Grève.djvu/505

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— Et que fait la population ouvrière ? Elle fuit, n’est-ce pas… comme toujours ?

Tous deux se regardèrent l’air sombre. Quelque chose comme un pressentiment pesait sur eux : il leur semblait qu’un malheur était dans l’air.

Depuis la veille, ils étaient revenus de Mersey pour remplacer Panuel, tombé subitement malade. Le brave homme avait repris le train pour la « Ferme nouvelle », où il pouvait être soigné mieux que partout ailleurs, en plein air pur et auprès de ses vieux amis qui lui prodiguaient leurs soins affectueux. Quant à l’hôpital, Panuel en ressentait l’horreur insurmontable.

Galfe et Céleste avaient quitté Mersey sans hésitation, mais non sans tristesse, une tristesse dont eux-mêmes ne pouvaient s’expliquer la cause. Ils étaient rentrés à Chôlon pour y trouver la ville morne, emplie de rumeurs menaçantes et sillonnée par des patrouilles de cavalerie.

Là aussi avait éclaté la grève. Les ouvriers de la métallurgie Gueulland s’étaient déclarés solidaires des autres travailleurs du département ; eux-mêmes, accablés d’amendes, harcelés par un contremaître fou d’autoritarisme, ils sentaient que la cause des mineurs de Mersey et la leur n’en faisaient qu’une seule.

Et après les ouvriers de l’usine Gueulland, ç’avaient été ceux de l’usine Lépinet, puis ceux du Petit-Brisot. Trois mille métallurgistes maintenant faisaient grève à Chôlon et emplissaient la ville de leurs manifestations, se déroulant sur les places et par les rues au chant de l’Internationale.

L’agitation s’étendait toujours, gagnant les départements voisins, se répercutant jusqu’à Lyon et à Saint-Étienne. On était arrivé à la période la plus orageuse de l’affaire Dreyfus : qu’une grande crise économique vînt s’ajouter à la crise politique, et la République pourrait être déracinée du coup.