Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/193

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ment les différences des choses, et ce sont les bons esprits ; les autres imaginent et supposent de la ressemblance entre elles, et ce sont les esprits superficiels. Les premiers ont le cerveau propre à recevoir des traces nettes et distinctes des objets qu’ils considèrent ; et, parce qu’ils sont fort attentifs aux idées de ces traces, ils voient ces objets comme de près, et rien ne leur échappe. Mais les esprits superficiels n’en reçoivent que des traces faibles ou confuses ; ils ne les voient que comme en passant, de loin et fort confusément, de sorte qu’elles leur paraissent semblables, comme les visages de ceux que l’on regarde de trop loin, parce que l’esprit suppose toujours de la ressemblance et de l’égalité on il n’est pas obligé de reconnaître de ditlérence et d’inégalité, pour les raisons que je dirai dans le troisième livre.

La plupart de ceux qui parlent en public, tous ceux qu’on appelle grands parleurs, et beaucoup même de ceux qui s’énoncent avec beaucoup de facilité, quoiqu’ils parlent fort peu, sont de ce genre ; car il est extrêmement rare que ceux qui méditent sérieusement puissent bien expliquer les choses qu’ils ont méditées. D’ordinaire ils hésitent quand ils entreprennent d’en parler, parce qu’ils ont quelque scrupule de se servir de termes qui réveillent dans les autres une fausse idée. Ayant honte de parler simplement pour parler, comme font beaucoup de gens qui parlent cavalièrement de toutes choses, ils ont beaucoup de peine à trouver des paroles qui expriment bien des pensées qui ne sont pas ordinaires.

III. Quoiqu’on honore infiniment les personnes de piété, les théologiens, les vieillards, et généralement tous ceux qui ont acquis avec justice beaucoup d’autorité sur les autres hommes, cependant on croit être oblige de dire d’eux qu’il arrive souvent qu’ils se croient infaillibles, à cause que le monde les écoute avec respect, qu’ils font peu d’usage de leur esprit pour découvrir les vérités spéculatives, et qu’ils condamnent trop librement tout ce qu’il leur plaît de condamner, sans l’avoir considéré avec assez d’attention. Ce n’est pas qu’on trouve à redire qu’ils ne s’appliquent pas à beaucoup de sciences qui ne sont pas fort nécessaires ; il leur est permis de ne s’y point appliquer, et même de les mépriser : mais ils n’en doivent pas juger par fantaisie et sur des soupçons mal fondés ; car ils doivent considérer que la gravité avec laquelle ils parlent, l’autorité qu’ils ont acquise sur l’esprit des autres, et la coutume qu’ils ont de confirmer ce qu’ils disent par quelque passage de la sainte Écriture, jetteront infailliblement dans l’erreur ceux qui les écoutent avec respect. et qui, n’étant pas capables d’examiner les