Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/455

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Comme le mouvement des esprits réveille dans l’âme certaines pensées, nos pensées excitent aussi dans notre cerveau certains mouvements ; ainsi, lorsque nous voulons arrêter quelque mouvement t d’esprits qui s’e›cite en nous, il ne suffit pas de vouloir qu’il cesse, car cela n’est pas toujours capable de l’arrêter, il faut se servir d’adresse et se représenter des choses contraires à celles qui excitent et qui entretiennent ce mouvement, et cela fera révulsion ; mais si nous voulons seulement déterminer ailleurs un mouvement d’esprits déjà excité, nous ne devons pas penser à des choses contraires, mais seulement à des choses différentes de celles qui l’ont produit, et cela fera sans doute diversion.

Mais parce que la diversion et la róvulsion seront grandes ou petites, à proportion que nos nouvelles pensées seront accompagnées d’un grand ou d’un petit mouvement d’esprits, il faut avoir soin de bien remarquer quelles sont les pensées qui nous agitent le plus afin de pouvoir dans les occasions pressantes les représenter à notre imagination qui nous séduit, et il faut tâcher de se faire une habitude si forte de cette manière de résistance, qu’il ne s’excite plus dans notre âme de mouvement qui nous surprenne.

Si l’on a soin d’attacher fortement la pensée de l’éternité ou quel qu’autre pensée solide aux mouvements extraordinaires qui s’excitent en nous, il n’arrivera plus de mouvements violents et extraordinaires qu’ils ne réveillent en même temps cette idée et qu’ils ne fournissent par conséquent des armes pour leur résister : ces choses sont prouvees par l’expérience et par les raisons que l’on a dites lans le chapitre de la liaison des idées ; de sorte qu’on ne doit. pas s’imaginer qu’il soit absolument impossible de vaincre par adresse l’effort de ses passions lorsqu’on en a une ferme volonté.

Néanmoins, il ne faut pas prétendre qu’on se rende impeccable ni que l’on puisse éviter toute erreur par cette sorte de résistance ; car. premièrement, il est difficile d’acquérir et de conserver cette habitude que nos mouvements extraordinaires réveillent en nous certaines idées propres pour les combattre ; secondement, supposez qu’on l’ait acquise, ces mouvements d’esprits exciteront directement les idées qu’il faut combattre, et indirectement celles par lesquelles il les faut combattre ; de sorte que les mauvaises idées étant les principales, elles auront. toujours plus de force que celles qui ne sont qu’accessoires, et il sera toujours nécessaire que la volonté résiste ; en troisième lieu, ces mouvements d’esprits peuvent être si violents, qu’ils remplissent toute la capacité de l’âme, de sorte qu’il n’y reste plus de place, s’il est permis de parler ainsi, pour