Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/483

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capacité de l’esprit, et il ne pourrait employer tout ce qu’il est pour considérer les vérités un peu abstraites.

Il faut donc tirer cette conclusion importante : que tous ceux qui veulent s’appliquer sérieusement à la recherche de la vérité doivent avoir un grand soin d’éviter, autant que cela se peut, toutes les sensations trop fortes, comme le grand bruit, la lumière trop vive, le plaisir, la douleur, etc. Qu’ils doivent veiller sans cesse à la pureté de leur imagination, et empêcher qu’il ne se trace dans leur cerveau de ces vestiges profonds qui inquiètent et qui dissipent continuellement l’esprit. Enfin qu’ils doivent surtout arrêter les mouvements des passions, qui font dans le corps et dans l’âme des impressions si puissantes qu’il est d’ordinaire comme impossible que l’esprit pense à d’autres choses qu’aux objets qui les excitent. Car encore que les idées pures de la vérité nous soient toujours présentes, nous ne les pouvons considérer lorsque la capacité que nous avons de penser est remplie de ces modifications qui nous pénètrent.

Cependant comme il n’est pas possible que l’âme soit sans passion, sans sentiment ou sans quel qu’autre modification particulière, il faut faire de nécessité vertu, et tirer même de ces modifications des secours pour se rendre plus attentif. Mais il faut bien de l’adresse et de la circonspection dans l’usage de ces secours pour en tirer quelque avantage. Il faut bien examiner le besoin que l’on en a, et ne s’en servir qu’au tant que la nécessité de se rendre attentif nous y contraint.


CHAPITRE III.


De l’usage que l’on peut faire des passions et des sens pour conserver l’attentíon de l’esprit.


Les passions dont il est utile de se servir pour s’exciter à la recherche de la vérité sont celles qui donnent la force et le courage de surmonter la peine que l’ou trouve à se rendre attentif. Il y en a de bonnes et de mauvaises : de bonnes, comme le désir de trouver la vérité, d’acquérir assez de lumière pour se conduire, de se rendre utile au prochain, et quelques autres semblables ; de mauvaises ou dangereuses, comme le désir d’acquérir de la réputation, de se faire quelque établissement, de s’élever au-dessus de ses semblables, et quelques autres encore plus déréglées dont il n’est pas nécessaire de parler.

Dans le malheureux état ou nous sommes, il arrive souvent que les passions les moins raisonnables nous portent plus vivement à la