Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/558

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choses qui sont de même genre, car ce n’est que par accident que le feu enlève les choses de diffèrent genre[1].

Si Aristote avait d’abord distingué le sentiment de chaleur d’avec le mouvement des petites parties dont sont composés les corps qu’on appelle chauds, et qu’il eût ensuite défini la chaleur prise pour le mouvement des parties, en disant que la chaleur est ce qui agite et qui sépare les parties invisibles dont les corps visibles sont composés, il aurait donné une définition assez supportable de la chaleur. Néanmoins on ne serait pas encore tout à fait content, parce qu’elle ne ferait point connaître précisément la nature des mouvements des corps chauds.

Aristote définit la froideur, ce qui assemble les corps de même ou de différente nature. Cette définition ne vaut encore rien, car il est faux que la froideur assemble les corps. Pour les assembler, il faut les remuer ; mais si l’on interroge sa raison, il est évident que le froid ne peut rien remuer. En effet, par la froideur, on entend, ou ce que l’on sent quand on a froid, ou ce qui cause le sentiment de froideur : or, il est clair que le sentiment de froideur ne peut rien remuer, puisqu’il ne peut rien pousser. Pour ce qui cause le sentiment, on ne peut douter, lorsqu’on examine les choses par la raison, que ce n’est que le repos ou la cessation du mouvement. Ainsi la froideur dans les corps n’étant que la cessation de cette sorte de mouvement qui accompagne la chaleur, il est évident que si la chaleur sépare, la froideur ne sépare pas. Ainsi la froideur n’assemble ni les choses de même ni de différente nature, car ce qui ne peut rien pousser ne peut rien assembler ; en un mot, comme elle ne fait rien, elle n’assemble rien.

Aristote jugeant des choses par les sens, s’imagine que la froideur est aussi positive que la chaleur, parce que les sentiments de chaleur et de froideur sont l’un et l’autre réels et positifs ; et il pense aussi que ces deux qualités sont actives. En effet, si l’on suit les impressions des sens, on a raison de croire que le froid est une qualité fort active, puisque l’eau froide congèle, rassemble et durcit en un moment l’or et le plomb fondus, après qu’on les a versés d’un creuset sur quelque peu d’eau, quoique la chaleur de ces métaux soit encore assez grande pour séparer les parties des corps qu’ils touchent.

Il est évident par les choses que nous avons dites des erreurs les sens, dans le premier livre, que si l’on ne s’appuie que sur les sens pour juger des qualités des corps sensibles, il est impossible de découvrir quelque vérité certaine et incontestable qui

  1. De gen. et corrupt., liv.2, ch. 2.