Page:Malherbe - Les Larmes de Saint-Pierre, 1596.pdf/16

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   Si vos yeux penetrans iuſqu’aux choſes futures
Vous pouuoyent enſeigner leurs belles auentures,
Vous auriez tant de bien en ſi peu de mal’heurs :
Que vous ne voudriez pas pour l’empire du monde,
N’auoir eu dans le ſein la racine feconde,
D’ou naſquit entre nous ce miracle de fleurs.

   Mais moi, puis que les loix me deffendent l’outrage,
Qu’entre tant de langueurs me commande la rage,
Et qu’il ne faut ſoymeſme eſteindre ſon flambeau :
Que m’eſt il demeuré pour conſeil & pour armes,
Que d’eſcouler ma vie en vn fleuue de larmes,
Et la chaßant de moy l’enuoyer au tombeau ?

   Ie ſçay bien que ma langue aiant commis l’offence,
Mon cueur incontinent en à fait penitence,
Mais quoy ? ſi peu de cas ne me rend ſatisfait :
Mon regret eſt ſi grand, & ma faute ſi grande,
Qu’vne mer eternelle à mes yeux ie demande,
Pour pleurer à iamais le peché que i’ay fait.

   Pendant que le chetif en ce point ſe lamente,
S’arrache les cheueux, ſe bat & ſe tourmente,
En tant d’extremitez cruellement reduit,
Il chemine touſiours, mais reſuant à ſa peine,
Sans donner à ſes pas vne reigle certaine,
Il erre vagabond où le pié le conduit.