Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1323

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peut nous donner abri plus longtemps, nous lui devons deux semaines de loyer, et comment les lui apporter, quand nous n’avons pas de pain à manger ?... J’ai une idée », continua-t-elle, une lueur d’espoir éclairant son visage; « allons dans les quartiers fashionables de la cité, et là séparons-nous : chacun accostera l’étranger à l’air bon, qui semblerait prêt à écouter notre histoire. Ainsi, ô cher Tom, pourrons-nous trouver aide et travail! » Et elle joignit les mains, dans l’enthousiasme de son espoir. — « Comme vous voudrez, ma fille, comme vous voudrez », soupira Thomas; « mais le temps qu’il fait est bien dur pour vous; et sortir l’enfant si pauvrement habillé! C’est, en tout cas, notre devoir de nous mettre en route : nous avons bien des milles à faire. Je voudrais seulement posséder quelques sous pour vous avoir une goutte de lait ! » — « N’importe, cher », reprit Catherine, consolante; « peut-être quelque bonne âme en chemin vous donnera-t-elle de quoi déjeuner. Je serais aise de partir avant que cette Madame Sans-Pitié ne bouge, car, quoiqu’elle sache que nous sommes sur le point de nous en aller, sans pouvoir la payer, il est sûr qu’elle donnera cours à sa fureur, par des injures. Allons! » ajouta-t-elle, après avoir secoué son vieux châle mince, en avoir convenablement disposé les plis sur ses épaules, et s’être essayée à faire prendre à son bonnet fatigué une tournure respectable, « et ne faites, en partant, d’autre bruit que celui qu’on ne peut empêcher. » Elle murmura ceci tout en ouvrant la porte, et l’homme inclina la tête en signe d’assentiment; ils quittèrent ainsi leur grenier sans tapage et descendirent dans la rue, où nous les suivîmes, nous, vos humbles sujettes. Nous avons vu maint autre exemple apitoyant de misère, mais l’amour que se montrait ce couple, en dépit de l’adversité qui frappait sur tous deux, nous toucha au point que nous résolûmes pour l’instant de nous vouer tout à lui. La Fée Espoir avait commencé notre tâche en inspirant courage à ces malheureux : les voici qui se traînent par les rues désertes, l’espace de deux ou trois milles, sans rencontrer même une laitière. Avançant toujours, ils 11e sont que plus défaits de privation et de fatigue : Catherine demanda enfin à s’asseoir un peu sur le pas d’une porte. Ils trouvèrent un siège et un abri somptueux sous le portique d’une grande maison de briques, et se mirent aussi à l'aise que possible. Au même instant, une servante de laiterie à mine gaillarde, portant ses seaux de chaque côté, se dirigea vers la porte; et les voyant, elle s’écria : « Miséricorde, quoi! avez-vous dormi là toute la nuit ?» — « Guère mieux, bonne femme : la pauvre fille voudrait aller en ville, mais j’ai peur qu’elle n’y arrive pas sans un peu de nourriture tout juste pour la soutenir. » — « Que vous ayez l’air de mourir de faim, cela