Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1328

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pour la recevoir. L’histoire la voici : — Ç’avait été un mécanicien, gros travailleur, habitant d’une ville de province où ses camarades s’étaient mis en grève : lui et quelques-uns, très rares, se trouvant satisfaits de leur salaire, avaient continué à travailler, conduite qui rendit furieux les Unionistes, ou ceux de la Grève, et fit tout perdre successivement au pauvre Thomas, du fait de leur méchanceté. On brisa les fenêtres de sa chaumière, on arracha nuitamment ses légumes, on empoisonna ses porcs, jusqu’au moment où Catherine s’alarma de tant de menaces et persuada à son mari de quitter l’endroit et d’aller à Gran-dum; ils croyaient vivre là en paix. Mais, une fois dans cette capitale, ils curent à payer plus pour une seule chambre dans une maison mal aérée que pour leur chaumière d’autrefois avec son grand jardin de rapport. Bientôt le manque d’air frais et du confortable dont ils avaient l’habitude attaqua la santé de leurs petits, les uns après les autres. Ces pauvrets, abattus par une fièvre maligne, moururent, après avoir traîné quelque temps. C’est ainsi que le malheureux ménage avait perdu cinq enfants, alors qu’un lui était né depuis. Thomas, à son tour, se vit atteint du même mal, et demeura des semaines entre la vie et la mort, Catherine usée et anéantie de veilles et de chagrin. Pas un murmure, cependant, n’échappa aux lèvres de l’épouse; patiente et douce, tendre et consolante, elle avait été un ange pour le pauvre malade qui, dans le fort de l’abandon, élevait une prière de gratitude au ciel à cause du don qu’il lui avait fait d’une si parfaite femme, le sauvant de tout acte de désespoir. « La paroisse les avait aidés, mais si strictement qu’ils ne pouvaient regagner de forces pour le travail; et tout ce qu’ils avaient possédé jadis s'en était allé, pour leur procurer le nécessaire, au cours de leur maladie. Personne ne voulait leur donner de l’ouvrage tant qu’ils étaient en haillons; et il y avait, dans leur coin de ville, par centaines, tant de pauvres pareils à eux qu’on ne pouvait rien faire pour les secourir. «Tom était trop faible encore pour reprendre son métier; il avait essayé en vain de faire de petites tâches, et c’est ainsi que sa femme et lui en étaient arrivés à mourir presque de faim, faute d’une main sympathique tendue à leur besoin cruel. « Monsieur Bon-Secours éprouva de la sympathie pour chacune des souffrances de Tom, et promit de prendre la chose à cœur, en compagnie de Madame Plaisant, dès le lendemain. Thomas souhaita donc le bonsoir à son hôte et alla rejoindre Catherine. Le lendemain, Monsieur Bon-Secours prit conseil de Madame Plaisant sur les moyens