Page:Malo - Une muse et sa mere.pdf/157

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de longues années, Chateaubriand installe chez elle cette opiniâtre personnalité, « cette vanité persistante et amère qui à la longue devient presque un tic ». Il arrive à trois heures, « guêtré, finement astiqué, serré de taille, la tête au vent, la main dans le gilet, la rose à la boutonnière ». Il pénètre dans le salon ; sur la cheminée, des vases et une glace où se mire le lit très séraphique de l’alcôve blanche ; au milieu, un guéridon, avec un énorme vase de Sèvres ; à gauche de la cheminée, une bibliothèque ; puis un clavecin, une harpe. Aux murs, la Corinne de Gérard offerte par le prince de Prusse, le portrait de Mme de Staël copié par Mlle Godefroy sur celui de Gérard, et un clair de lune à Coppet. Après la mort de Chateaubriand, un portrait du grand homme s’accrochera en pendant à celui de Mme de Staël.

Juliette l’accueille, toujours fine, délicate, toujours vêtue de blanc. Tête forte, osseuse, dont le crâne se dégarnit de plus en plus, il s’assied à gauche de la cheminée, elle à droite, et chaque jour, invariablement pendant de longues années, les mêmes répliques stéréotypées s’échangent :

— Voulez-vous du thé, monsieur de Chateaubriand ?

— Après vous, madame.

— Y ajouterai-je quelques gouttes de lait ?

— Quelques gouttes seulement.

— Vous en offrirai-je une seconde tasse ?

— Je ne permettrai pas que vous preniez cette peine.

À quatre heures, la porte s’ouvre, et les illustra-