Page:Malo - Une muse et sa mere.pdf/21

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huitième siècle léger et libertin. Elle était l’ornement du dîner annuel que mes parents avaient institué pour la fête de sainte Cécile. Le matin, mon père, violoncelliste, se faisait entendre à une messe solennelle en musique. Au retour, je vois encore la table de la salle à manger munie de toutes ses rallonges, le linge blanc, l’argenterie brillante, les cristaux étincelants, et le grand feu de houille qui flambait dans la grille, les bouteilles vénérables que l’on chambrait, et je respire encore la bonne odeur de cuisine qui emplissait la maison et aiguisait l’appétit.

Vers une heure après-midi, un à un, les invités arrivaient, vieux amis fidèles, toujours les mêmes. Ma mémoire me représente avec netteté les traits de leurs physionomies affectueuses qui se penchaient complaisamment vers moi, en me félicitant de mes « succès » d’écolier. Ils abordaient ma mère avec des grâces surannées et touchantes. Seule, Mme  Labarre n’arrivait pas. Elle avait coutume de s’attarder plus que de raison aux soins de sa toilette. Chacun était debout de bonne heure ce jour là ; la faim tenaillait les estomacs. Le rôti risquait d’être trop cuit. Mon père pestait ouvertement contre la retardataire, et finissait par courir jusque chez elle pour la ramener. Elle faisait son entrée, nullement émue, trouvant naturel qu’on l’attendît ; il semblait que cet hommage lui fût dû. Après quoi, le charme opérait, en même temps que les estomacs recevaient satisfaction ; elle brillait dans ce petit cercle de province, et cela lui rappelait des succès plus retentissants sur une scène plus considérable.