Page:Malo - Une muse et sa mere.pdf/22

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L’une après l’autre, la mort a figé les physionomies joyeuses qui entouraient ce jour-là la table familiale munie de ses rallonges. Quelle mélancolie de savoir éteints à jamais ces bons sourires dont la douceur capitonna ma première enfance et encouragea ma jeunesse ! Aujourd’hui, je reste seul à m’en souvenir, et, après moi, ces êtres et ces choses qui tinrent une telle place dans mon existence seront comme s’ils n’avaient jamais été, seront du néant.

Mme  Labarre subit le sort commun : elle vieillit.

Elle ne parvint jamais à s’y résoudre. Sa situation pécuniaire empirait avec les années ; les cigales ne sont jamais prévoyantes. Dans la pauvreté, elle conserva sa belle allure. Elle dut arborer de grosses besicles ; elle devint complètement aveugle, et sourde. Dans cet état, il lui était difficile de se tenir au courant du mouvement des arts et de la littérature. Elle ne l’avouait pas. Elle se persuada que si elle ne connaissait parmi les nouveautés aucune œuvre qui retînt son attention, c’est qu’il ne s’en produisait pas.

— N’est-ce pas, mon enfant, me disait-elle, n’est-ce pas… il n’y a plus rien ? Connais-tu un poète comparable à ceux de mon temps ?… un musicien ?… un romancier ? Il n’y a plus rien !…

Je n’avais pas la cruauté de la contredire. À quoi bon ? Ne valait-il pas mieux lui laisser son illusion ?

Elle approchait de quatre-vingt-onze ans lorsqu’elle s’éteignit dans la maison de retraite où s’écoulèrent ses dernières années. Elle mourut le 6 juillet 1906. Qui était-elle ?