Aller au contenu

Page:Malot - En famille, 1893.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
198
EN FAMILLE.

« Enfin, c’est des broches enfoncées dans des godets, sur lesquelles s’enroule le fil ; quand elles sont pleines, on les retire du godet, on en charge les wagonets qui roulent sur un petit chemin de fer, et on les mène aux ateliers de tissage ; ça fait une promenade ; j’ai commencé par là ; maintenant je suis aux cannettes. »

Elles avaient traversé un dédale de cours, sans que Perrine, attentive à ces paroles, pour elles si pleines d’intérêt, pût arrêter ses yeux sur ce qu’elle voyait autour d’elle, quand Rosalie lui désigna de la main une ligne de bâtiments neufs, à un étage, sans fenêtres, mais éclairés à l’exposition du nord par des châssis vitrés qui formaient la moitié du toit.

« C’est là », dit-elle.

Et aussitôt ayant ouvert une porte, elle introduisit Perrine dans une longue salle, où la valse vertigineuse de milliers de broches en mouvement produisait un vacarme assourdissant.

Cependant, malgré le tapage, elles entendirent une voix d’homme qui criait :

« Te voilà, rôdeuse !

— Qui, rôdeuse ? qui rôdeuse ? s’écria Rosalie, ce n’est pas moi, entendez-vous, père la Quille ?

— D’où viens-tu ?

— C’est l’Mince qui m’a dit de vous amener cette jeune fille pour que vous la mettiez aux wagonets. »

Celui qui leur avait adressé cet aimable salut était un vieil ouvrier à jambe de bois, estropié une dizaine d’années auparavant dans l’usine, d’où son nom de la Quille. Pour ses invalides, on l’avait mis surveillant aux cannetières, et il